À Madame William Pitt-Byrne.
Sa mère l’aimait tant, ce petit rieur rose !

C’était son premier-né, première fleur éclose

Sur l’arbuste pliant de leurs jeunes amours.

Elle en rêvait les nuits et le soignait les jours,

Joyeuse à contempler son adorable allure

A peigner lentement sa fine chevelure

Bouclée, et blonde ainsi qu’un rayon de soleil ;

A coller ses baisers sur son grand œil, pareil

Aux bluets printaniers où l’aube a mis ses larmes ;

A le laver, riant de ses folles alarmes,

Quand il se révoltait, craintif et suffoquant

De l’eau trop abondante et du savon piquant,

Et devant son miroir doré faisait la moue

En regardant la neige éclose sur sa joue !…
Elle aimait, douce mère aux plaisirs ingénus,

Prendre en main ses deux pieds tout roses et tout nus,

Les mordre, les presser, les cacher dans sa robe

Comme des fruits vermeils et mûrs que l’on dérobe !

Le blondin commençait à faire quelques pas

Quand on le soutenait par le dessous des bras.

Rieur, il chancelait comme s’il était ivre

Du ciel dont il venait, ne commençant qu’à vivre,

Et gardant un mystique et singulier reflet

De sa première ivresse et de son dernier lait !
Sa mère le suivait pas à pas, et tremblante,

Tâchant de ralentir sa marche turbulente,

Fatiguée, et fixant ses regards assoupis

Sur le petit marcheur tombé sur le tapis.

Elle croyait déjà dans son orgueil de mère

Le voir grand : son esprit poursuivait la chimère

D’un fils que le génie a marqué de son sceau,

Et devinait l’élu dans l’enfant du berceau !

O mères ! qui de vous n’a pas rêvé la gloire ?
Lorsque le soir tombait, dans la chambre plus noire

Qu’une lampe appendue au plafond étoilait,

La mère récitait un petit chapelet

Devant un crucifix de cuivre à la muraille,

Et disait à l’enfant de baiser la médaille,

Puis dans son berceau bleu le couchait mollement,

Essayant qu’il lui dit tout bas : « bonsoir, maman »,

Ou qu’en joignant les mains il dit de sa voix tendre

Le doux nom de Jésus incliné pour l’entendre !…

Mais elle s’épuisait à cela vainement :

L’enfant lui répondait par un vagissement

Triste et mystérieux, comme un flot qui se brise

Contre un écueil, ou comme une plainte de brise

Frôlant les arbres morts dans les nuits de printemps ;

Et la mère disait : « Il n’est pas encor temps !

Il parlera demain… il faut bien qu’il commence !… »

Puis chantant une vieille et naïve romance

Elle agitait du pied le berceau de l’enfant,

Qui dans ses draps neigeux se roulait triomphant !…

Quand le sommeil fermait ses paupières lassées

Sur ses yeux vifs, ainsi que des ailes baissées,

Et que, la bouche ouverte, il semblait rire encor

Au rêve qui jetait sur lui son rayon d’or,

La mère s’inclinait, craintive, sur sa couche,

L’embrassait sur le bord arrondi de la bouche,

Et toute réchauffée à ce baiser si cher

En gardait le frisson virginal dans sa chair ;

Et savourant la paix de la nuit vaporeuse

Sans rien dire, admirait cette figure heureuse

De l’enfant endormi dans les oreillers blancs,

Comme la lune au fond des nuages tremblants !
O Nature ! pourquoi toujours briser nos rêves ?

Et mettre le reflux prés du flux sur nos grèves ?

Pourquoi, quand les oiseaux babillent dans les bois,

Cet enfant devait-il muet, triste et sans voix,

Près de sa mère en pleurs, grandir sans rien apprendre,

Ne pas être compris et ne pas la comprendre !…
La mère qui sait tout, en longs vêtements noirs,

N’osant sortir le jour, se promène les soirs

Conduisant par la main le petit muet pâle,

Et, comme un saint qui veille une pierre tombale,

Lui jetant, sans rien dire, un regard adouci :

L’enfant ne parlant pas, elle s’est tue aussi !…

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Muet !
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