Les Métallurgistes Embrasés

I
Son livre refermé sous la lampe très basse, Eve attend les premiers craquements de l'Apocalypse, tandis qu'au fond dans la remise, l'aïeul parle si tard à ses machines. Et

l'établi pourrit gorgé d'huile qui est la douceur aux métaux, et les nuisibles crucifiés ne sauvent pas la trempe quand la lune rôde mauvaise. Éployées sur

les briques, les nymphes mensuelles tourmentent de loin l'apprenti, celui qui forge en rêve un enfant bleu comme l'acier destiné à racheter le monde.
II
Toute la richesse nocturne s'entasse derrière la peupleraie et, dans l'enclos aux tournesols, la parole est revenue plus charpentée aux exilés qui assistent à la naissance

du mauve. Ils réconcilient leurs maisons de bois avec le sens de la terre, Ukrainiens dont la juiverie tous les soirs récite un verset de l'exode dans un parfum de chair rance. Par la

claire-voie, nous regardons cet enchantement de nos sols les plus vagues avec la froide cruauté de ceux qui nés ici veulent savoir la vérité.
III
Les ouvriers exposent leurs soucis aux étoiles. Celles dont ils ne connaîtront jamais le nom, vont un train silencieux et réglé par leur cruauté, tandis que les usines

dont ils sortent pourrissent dans l'iniquité du couchant. Quand les métallurgistes sèchent leurs sueurs aux courants d'air, sous une tonnelle et la vigne stérile, deux

poètes se parlent de leurs fenêtres au-dessus du tumulte et nomment parmi les constellations automnales, une étoile qui annonce révolution ou sacrifice.
IV
Des avenues portent des noms de visionnaires qui les font se perdre à l'est dans un infini de guerres violettes, et des nuées où s'exaspère la palpitation théogonique,

se posent sur les sorties d'usines comme une grande Bête de l'an mille. De part et d'autre des avenues sont des demeures dont les images frêles ferment des perspectives de tilleuls et

de grèves. Mystère des rideaux qui remuent le soir, comme un théâtre d'âmes humides venues inquiéter de leur lent devenir l'aire abstraite de la muraille. Alors le

soir est à peine troublé de lointains aboiements monodiques et de chants d'arrosoirs qui se remplissent. Les choses naturelles ont un charme au passage de Pan dont la lassitude

embaume.
V
Après les derniers pas dans la grève et, derrière les persiennes, des coups de fenêtres contre leurs dormants, les ouvriers ne disposent plus d'aucun bruit pour faire tenir

le jour. Le vide que font sur le ciel les feuilles noires du prunus, donne sur un monde encore plus profond. La nudité de l'aîné éclaircit un peu la chambre où flottent

des pensées impures. Une enfant de sept ans est offerte aussi comme victime à un livre dont les inscriptions tirent leur sens d'un maître menaçant. Les martinets fusent

au-dessus de la cour, autres lettres acérées et rapides portées sur le bleu perdu. Quelle musique lointaine révèle le secret de l'âme? Faible lumière dont la

mécanique passe en sifflant dans la rue tiède.
VI
Dans des quartiers d'anciens ouvriers où ne sont plus lus que des livres sur les rythmes de l'acier et l'imposture des écrits, une chambre demeure sous de blancs oiseaux spirituels.

Un soir vient jusqu'au fond l'habiter qui est rentré par la fenêtre et avec lui, dans les rideaux s'écartent les replis d'une belle imaginaire. Du haut de la maison est ainsi

délaissée la consolation qu'attend le monde; Mélancolie, Horreur des femmes, Haine de la matière sont peintes en allégories dans des cadres qui font toute la

beauté de la chambre. La pensée pour le maître adoré la traverse pour conserver ce plus pur exemple de solitude ; et juste avant dormir, le regard se consacre à la

vierge idéale uniquement conçue des visages de toutes les passantes croisées, brièvement aimées, et disparues dans l'infini des boulevards.
VII
Dans la volière, les pigeons réclament la vie, gros du sang qui aveuglera l'aïeul. Eve endormie, la joue collée sur son livre ouvert, est traversée de la première

image de la Genèse; un astre est mort depuis longtemps dont la lumière nous parvient encore.
VIII
Ou bien c'était la protection d'une morte encore proche qui lui avait présenté la longue transpiration venue aux jardins après les heures de travail, comme ce qu'il fallait

recueillir dans un linge en pensant que c'était l'âme du monde. Age où la plus simple parole qu'un ancien centurion profère le soir sur un balcon pour louer la beauté

de ses fleurs, est interprétée à cause de toutes les nuances des roses, comme la formule d'un métal parfait.

Dominique Pagnier

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Les Métallurgistes Embrasés
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