La Princesse lointaine

L’amour aux magnifiques flammes

Dirige la nef sur les flots,

Et c’est encor l’amour qui rame

Avec le cœur des matelots ;
Tout autour du frère Trophime,

Tournent, en désordre étoilé,

Tous les vers fameux dont les rimes

Étaient deux ailes pour voler ;
Ce sont peut-être ces maximes,

Plus claires que les goélands,

Qui porteront la nef sublime ;

Et c’est la chanson de Bertrand !
Car rien qu’en redisant sans cesse

Les choses que l’on sait déjà :

Le nom charmant de la princesse,

Le charme qui la protégea ;
Rien qu’en reparlant de ses bagues

De ses colliers et de ses yeux,

Voici qu’au caprice des vagues

La nef maintenant glisse mieux.
La pauvre nef avance et flotte

Surmontant les plus mauvais jours ;

Quand le rêve se fait pilote,

Le navire arrive toujours.
Oh ! l’immense et sombre mystère

D’un cœur appelant l’horizon…

Mais voici qu’on a crié : « Terre ! »

Et voici de pâles maisons.
Dans un prestigieux mirage

Qui se transforme en vérité,

Tripoli au bord du rivage

A posé sa douce clarté ;
Et Bertrand, dont le cœur sans trêve

Aida l’amour de son ami,

Va partir lui chercher son rêve

Sur la barque de l’infini.
Quand toujours on donne son âme,

Pourrait-on jamais avoir tort ?

Une vertigineuse flamme

Purifiait chaque décor.
Le drame était comme un royaume

Dont les lys doublaient les clartés ;

Et plusieurs merveilleux fantômes

S’ajoutaient aux réalités…
Sur la nef, tous ces camarades

N’étaient-ils pas, là comme ailleurs,

Les pauvres obscurs, les sans grades,

Que Flambeau porte dans son cœur ?
Quand Bertrand, la face hagarde,

Surgit dans le soir violet,

Renverse les grilles, les gardes,

Et bouleverse le palais ;
Quand il viendra risquer sa vie

Pour des yeux gris, mauves et verts,

N’ayant, dans sa tendre furie,

Rien d’autre à dire que « Des vers » !
Quand son bras vainqueur d’une hache

Fait voler la porte en éclats,

L’héroïque et divin panache

De Cyrano n’est-il pas là ?
Quand, devant ce cœur qui s’élance,

Mélissinde, se reculant,

S’enferme en un mur de silence

Pour fuir l’envoyé trop charmant ;
Ce « non » fantasque et romanesque,

Jeté vers celui qui venait,

N’est-il pas tout à fait ou presque

Le mur en fleurs de Percinet ?
Mais Bertrand à la brune tête

Voit le rêve et veut l’emporter ;

Ce n’est pas un mur qui l’arrête,

Lui, que rien ne peut arrêter !
Qu’est-ce qui fait qu’elle refuse ?

Il veut savoir… mais de trop près…

Et c’est sur sa bouche confuse

Qu’elle dit enfin son secret !
Ô pauvre minute éternelle !…

Vont-ils faiblir ?… Non, car elle a

Crié : « La source, où donc est-elle ?

Le Pain, où est-il ? » Et voilà
Que, passant comme une âme encore,

Dans le fond célestement bleu,

C’est Photine, avec son amphore,

Qui va lui répondre le mieux.
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Quelle inoubliable soirée…

La lumière semblait grandir,

Toute la pièce était dorée

Par la gloire et le souvenir ;
L’amour suspendait aux cordages

Sa grâce et sa fatalité ;

L’histoire aux brûlantes images

Se penchait pour se raconter ;
Chassant les platitudes vaines

Et les poussières du banal,

On sentait souffler sur la scène

Le vent sacré de l’idéal ;
Autour de la blanche princesse

Qui vient sur un bateau vermeil,

Le poème, montant sans cesse,

Semblait un immense soleil, –
Et, s’ajoutant comme un emblème

À ce triomphe pur et clair,

Dans la salle on rencontrait même

Quelques crapauds de Chantecler !…

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La Princesse lointaine
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