À l’Impératrice

I
Suave et pur jasmin d’Espagne

Où se posa l’abeille d’or,

Une grâce vous accompagne,

Et vous possédez un trésor ;
Vous, le sourire de la force,

Le charme de la majesté,

Vous avez la puissante amorce

Qui prend les âmes — la bonté !
Et, derrière l’Impératrice

À la couronne de rayons,

Apparaît la consolatrice

De toutes les afflictions.
Sans que votre cœur ne l’entende

Il ne saurait tomber un pleur ;

Quelle est la main qui ne se tende

Vers vous, du fond de son malheur ?
Pensive, auguste et maternelle,

Tenant compte des maux soufferts,

Vous rafraîchissez de votre aile

Les feux mérités des enfers.
Ce n’est pas seulement vers l’ombre

Que va le regard de vos yeux,

Dans la cellule étroite et sombre

Faisant briller l’azur des cieux ;
Ce regard que chacun implore,

Qui luit sur tous comme un flambeau,

S’arrete, plus touchant encore,

Quand il a rencontré le Beau.
L’enthousiasme y met sa flamme

Sans en altérer la douceur ;

Si le génie est une femme,

Vous lui dites : « Venez, ma sœur ! »
Je mettrai sur vous cette gloire

Qui fait les hommes radieux,

Ce ruban teint par la victoire,

Pourpre humaine digne des dieux ! »
Et votre main d’où tout ruisselle,

Sur le sein de Rosa Bonheur

Allumant la rouge étincelle,

Fait jaillir l’astre de l’Honneur !
II
Oh ! quelle joie au séjour morne

Des pauvres Enfants détenus,

Limbes grises, tombeau que borne

Un horizon de grands murs nus,
Lorsque la porte qui s’entr’ouvre,

Laissant passer le jour vermeil,

À leurs yeux ravis vous découvre

Comme un ange dans le soleil !
Pour le penseur chose effrayante !

L’homme jetant à la prison

La faute encore inconsciente

Et le crime avant la raison !
Là sont des Cartouches en herbe

Dont les dents de lait ont mordu,

Comme un gâteau, le fruit acerbe

Qui pend à l’arbre défendu ;
Des scélérats sevrés à peine ;

De petits bandits de douze ans,

D’un mauvais sol mauvaise graine,

Tous coupables, mais innocents !
Hélas ! pour beaucoup la famille

Fut le repaire et non le nid,

La caverne où gronde et fourmille

Le monde fauve qu’on bannit.
Vous arrivez là, douce femme,

Lorsque sommeille encor Paris,

Faisant l’aumône de votre âme

À ces pauvres enfants surpris.
Vous accueillez leur plainte amère,

Leur long désir de liberté,

Et chacun d’eux vous croit sa mère

À se voir si bien écouté.
Vous leur parlez de Dieu, de l’homme,

Du saint travail et du devoir,

Des grands exemples qu’on renomme,

Du repentir qui suit l’espoir ;
Et la prison, tout éblouie

Par la céleste vision,

De la lumière évanouie

Conserve longtemps un rayon !
III
Il est d’autres cités dolentes

Que d’autres Dantes décriront ;

Les heures s’y traînent bien lentes,

La faute a la rougeur au front.
Là gémissent les vierges folles

Qui vont sans lampe dans la nuit ;

Les paresseuses aux mains molles

Que l’éclat d’un bijou séduit ;
La coupable, presque novice,

Trébuchée au chemin glissant,

Et toutes celles que le vice

Sur son char emporte en passant.
Sans craindre pour vos pieds la fange,

Vous traversez ces lieux maudits,

Comme en Enfer un bel Archange

Qui descendrait du Paradis.
Vous visitez dortoirs, chapelle,

Et la cellule et l’atelier,

Allant où chacun vous appelle

Et ne voulant rien oublier.
Si, dans la triste infirmerie,

Au chevet où râle la mort,

Vous trouvez une sœur qui prie,

L’innocence près du remord,
Vous ployez les genoux, et l’âme,

Dont l’aile bat pour le départ,

Croit voir resplendir Notre-Dame

À travers son vague regard.
Lorsque se tait la litanie,

Vous vous penchez pour mieux saisir

Sur les lèvres de l’agonie

Le suprême et secret désir.
La jeune mourante, éperdue,

Qui ne parlait plus qu’avec Dieu,

D’une voix à peine entendue

Confie à votre cœur son vœu.
Cet humble vœu, dernier caprice,

Est recueilli pieusement,

Et de l’enfant l’Impératrice

Exécute le testament.
15 août 1866.

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À l’Impératrice
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