Les glissoires

Il fait un froid noir et tout gèle :

Abreuvoir, écluse et ruisseau.

Tous les puits, à l’endroit du seau,

Ont de la glace à leur margelle.
C’est pourquoi, vite, après la classe,

Les enfants viennent, à grands cris,

Glisser sur l’étang si bien pris

Qu’ils ne craignent pas que ça casse.
En tas, casquettes sans visière,

Bérets bâillants, chapeaux tortus,

Ils arrivent, les reins battus

Par leur petite carnassière.
Et, de-ci, de-là, tout heureuse,

Chaque troupe se met au jeu,

Sillonnant à la queue leu leu

La belle surface vitreuse.
Légères, folles, bien ingambes,

Elles ont indéfiniment

Le caprice du mouvement

Ces fragiles petites jambes !
Rapidement, mainte glissoire

Qu’en choeur tant de mutins sabots

Polissent comme des rabots

Est nivelée et presque noire.
On les voit gris et bleus les mioches

Qui, d’un trait, au bas des airs blancs,

Passent, les bras tendus, ballants,

Croisés – ou les mains dans les poches.
Et, plus d’un faisant la mimique

D’accomplir un besoin pressant

Reste accroupi, tout en glissant,

Avec un naturel comique.
Quelques très petiots se hasardent,

Mais, tombés trop fort, ayant peur,

Immobiles, pleins de stupeur,

Se tiennent au bord et regardent ;
Ils sont charmants, piteux et drôles,

Ces pauvres mignons étonnés,

Grelottants, la roupie au nez,

Le cou rentré dans les épaules !
Les autres, au long des saulaies,

Filent toujours avec entrain :

Tels, devant les vitres d’un train

Courent les arbres et les haies.
Sur le bruit des voix qui remplissent

Les échos de leurs appels fous

Tranche le vacarme des clous

Mordant, raclant, autant qu’ils glissent.
De loin, vous entendez, il semble,

Tant c’est ronfleur, dur et perçant,

Plus de cent meules repassant

Qui grinceraient toutes ensemble.
- Autour, des plaines dépouillées

Montrant leurs vieux herbages gris ;

Des arbres nus, d’autres maigris :

Tête ronde et feuilles rouillées.
Mais, vifs et gais comme la flamme,

Ces garçonnets au teint vermeil

Mettent là verdure et soleil :

Tout le printemps qu’ils ont dans l’âme.
Au coeur du paysage triste,

Entre ces lointains malheureux,

Sous ce ciel de métal, – par eux

La vie un instant resubsiste.
Ils sont le bonheur d’aventure,

L’éclat de rire triomphant

Qui passe comme un coup de vent

En cette mort de la nature !
Mais il se fait tard, le jour baisse.

Les glisseurs vont, moins résolus,

Et, bientôt, on ne les voit plus

Qu’à travers une brume épaisse.
Rien qu’un dernier monôme roide

De petits fantômes en noir !

Tous à la file ! – et puis, bonsoir !

Ils se sauvent dans l’ombre froide.
Et, la nuit, aux torpeurs funèbres,

Donne un mystère inquiétant

Au face à face de l’étang

Avec la lune ou les ténèbres.

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Les glissoires
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