En la trentième année, au siècle de l’épreuve,

Etant captif parmi les cavaliers d’Assur,

Thogorma, le Voyant, fils d’Elam, fils de Thur,

Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve,

A l’heure où le soleil blanchit l’herbe et le mur.
Depuis que le Chasseur Iahvèh, qui terrasse

Les forts et de leur chair nourrit l’aigle et le chien,

Avait lié son peuple au joug assyrien,

Tous, se rasant les poils du crâne et de la face,

Stupides, s’étaient tus et n’entendaient plus rien.
Ployés sous le fardeau des misères accrues,

Dans la faim, dans la soif, dans l’épouvante assis,

Ils revoyaient leurs murs écroulés et noircis,

Et, comme aux crocs publics pendent les viandes crues,

Leurs princes aux gibets des Rois incirconcis
Le pied de l’infidèle appuyé sur la nuque

Des vaillants, le saint temple où priaient les aïeux

Souillé, vide, fumant, effondré par les pieux,

Et les vierges en pleurs sous le fouet de l’eunuque

Et le sombre Iahvèh muet au fond des cieux.
Or, laissant, ce jour-là, près des mornes aïeules

Et des enfants couchés dans les nattes de cuir,

Les femmes aux yeux noirs de sa tribu gémir,

Le fils d’Elam, meurtri par la sangle des meules,

Le long du grand Khobar se coucha pour dormir.
Les bandes d’étalons, par la plaine inondée

De lumière, gisaient sous le dattier roussi,

Et les taureaux, et les dromadaires aussi,

Avec les chameliers d’Iran et de Khaldée.

Thogorma, le Voyant, eut ce rêve. Voici :
C’était un soir des temps mystérieux du monde,

Alors que du midi jusqu’au septentrion

Toute vigueur grondait en pleine éruption,

L’arbre, le roc, la fleur, l’homme et la bête immonde

Et que Dieu haletait dans sa création…
Thogorma dans ses yeux vit monter des murailles

De fer d’où s’enroulaient des spirales de tours

Et de palais cerclés d’airain sur des blocs lourds ;

Ruche énorme, géhenne aux lugubres entrailles

Où s’engouffraient les Forts, princes des anciens jours.
Ils s’en venaient de la montagne et de la plaine,

Du fond des sombres bois et du désert sans fin,

Plus massifs que le cèdre et plus hauts que le pin,

Suants, échevelés, soufrant leur rude haleine

Avec leur bouche épaisse et rouge, et pleins de faim.
C’est ainsi qu’ils rentraient, l’ours velu des cavernes

A l’épaule, ou le cerf, ou le lion sanglant.

Et les femmes marchaient, géantes, d’un pas lent,

Sous les vases d’airain qu’emplit l’eau des citernes,

Graves, et les bras nus, et les mains sur le flanc.
Elles allaient, dardant leurs prunelles superbes,

Les seins droits, le col haut, dans la sérénité

Terrible de la force et de la liberté,

Et posant tour à tour dans la ronce et les herbes

Leurs pieds fermes et blancs avec tranquillité…
Puis, quand tout, foule et bruit et poussière mouvante,

Eut disparu dans l’orbe immense des remparts,

L’abîme de la nuit laissa de toutes parts

Suinter la terreur vague et sourdre l’épouvante

En un rauque soupir sous le ciel morne épars.
Et le Voyant sentit le poil de sa peau rude

Se hérisser tout droit en face de cela,

Car il connut, dans son esprit, que c’était là

La Ville de l’angoisse et de la solitude,

Sépulcre de Qaïn au pays d’Hévila. [...]

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Qaïn
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