Or voy-je bien qu’il faut vivre en servage

Or voy-je bien qu’il faut vivre en servage,

A dieu ma liberté :

Dans les liens de l’amoureux cordage

Je demeure arresté.

J’ay conoissance

De la puissance

D’une maistresse,

Qu’Amour adresse.

Ô combien peut sur nous une beauté !
J’ay veu le temps que l’on me disoit : Garde

Amour te punira ;

Tu ris de luy, tu ris, mais quoy qu’il tarde

De toy il se rira.

Je leur disoye :

Devant que soye

De la sagette

Qu’aux coeurs il jette

Atteint au coeur, le monde finira.
Mais qu’ay-je fait de ma fiere arrogance ?

Où est ce brave coeur ?

Je conoy tard ma fole outrecuidance,

Amour, en ta rigueur.

Je le confesse,

Une maistresse

Belle et bien-née

Tu m’as donnée :

Je suis vaincu, et tu es le vainqueur.
Et quel effort ay-je oublié de faire,

Pour rompre ta prison ?

Et quel remede à mon grand mal contraire

Pour avoir guerison ?

Mais toute peine

M’a esté vaine.

Il n’est plus heure

Qu’on me sequeure :

Trop a gagné dedans moy la poison.
J’ay bien voulu moy-mesme me contreindre

De Francine haïr.

(Pardon Francine : et mon mal n’en est moindre,

Et je veu t’obeïr)

Où que la visse,

De vertu vice

J’ay voulu faire

Pour m’en distraire ;

Mais c’est en vain qu’amour je veu fuir.
Mesme cuidant (ô cuider execrable !)

Mon tourment alleger,

J’ay bien osé par un vers difamable

La vouloir outrager.

Mais mon martyre

M’a fait dedire.

 » La vraye plainte

 » Plus que la feinte

 » Peut de l’amour la peine soulager.
Vous jeunes gens, qu’Amour des-ja menace,

Fuiez ce faus archer,

Fuiez son arc, courez de place en place,

Ne vous laissez toucher.

 » Puis que la fleche

 » A fait sa breche,

 » C’est grand’sotise

 » Si l’on s’avise

 » Après le coup du tireur n’aprocher.
Heureux celuy que d’autruy le dommage

 » A fait bien avisé :

Si j’eusse peu de bonne heure estre sage

Devant qu’il eust visé,

Plus sain je fusse,

De luy je n’usse

Paravanture

Ce que j’endure :

Je ne languisse ainsi martyrisé !
Bien que mon mal me cause un grand martyre

En cruelle rigueur,

Heureux vrayment de l’avoir me puis dire

Pour si grande valeur.

Je reçoy gloire

De sa victoire :

 » L’honneur surmonte

 » La foible honte

 » S’on est vaincu par un brave vainqueur.
Puis que mon mal est si grand qu’il refuse

L’espoir de guerison,

Je feray bien, si doucement j’abuse

L’effét de sa poison.

 » L’acoutumance

 » Donne alegeance,

 » Quand on suporte

 » De vertu forte

 » Ce qui ne peut s’amander par raison.

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