Frère Jacques, frère Jacques,

Réveille-toi de ton sommeil d’hiver

Les fins taillis sont déjà verts

Et nous voici au temps de Pâques,

Frère Jacques.
Au coin du bois morne et blêmi

Où ton grand corps s’est endormi

Depuis l’automne,

L’aveugle et vacillant brouillard,

Sur les grand-routes du hasard,

S’est promené, longtemps, par les champs monotones ;

Et les chênes aux rameaux noirs

Tordus de vent farouche

Ont laissé choir,

De soir en soir,

Leur feuillage d’or mort sur les bords de ta couche.
Frère Jacques,

Il a neigé durant des mois

Et sur tes mains, et sur tes doigts

Pleins de gerçures ;

Il a neigé, il a givré,

Sur ton chef pâle et tonsuré

Et dans les plis décolorés

De ta robe de bure.
La torpide saison est comme entrée en toi

Avec son deuil et son effroi,

Et sa bise sournoise et son gel volontaire ;

Et telle est la lourdeur de ton vieux front lassé

Et l’immobilité de tes deux bras croisés,

Qu’on les dirait d’un mort qui repose sous terre.
Frère Jacques,

Hier au matin, malgré le froid,

Deux jonquilles, trois anémones

Ont soulevé leurs pétales roses ou jaunes

Vers toi,

Et la mésange à tête blanche,

Fragile et preste, a sautillé

Sur la branche de cornouiller

Qui vers ton large lit de feuillages mouillés

Se penche.
Et tu dors, et tu dors toujours,

Au coin du bois profond et sourd,

Bien que s’en viennent les abeilles

Bourdonner jusqu’au soir à tes closes oreilles

Et que l’on voie en tourbillons

Rôder sur ta barbe rigide

Un couple clair et rapide

De papillons.
Pourtant, voici qu’à travers ton somme

Tu as surpris, dès l’aube, s’en aller

Le cortège bariolé

Des cent cloches qui vont à Rome ;

Et, leurs clochers restant

Muets et hésitants

Durant ces trois longs jours et d’angoisse et d’absence,

Tu t’éveilles en écoutant

Régner de l’un à l’autre bout des champs

Le silence.
Et secouant alors

De ton pesant manteau que les ronces festonnent

Les glaçons de l’hiver et les brumes d’automne,

Frère Jacques, tu sonnes

D’un bras si rude et fort

Que tout se hâte aux prés et s’enfièvre aux collines

A l’appel clair de tes matines.
Et du bout d’un verger le coucou te répond ;

Et l’insecte reluit de broussaille en broussaille ;

Et les sèves sous terre immensément tressaillent ;

Et les frondaisons d’or se propagent et font

Que leur ombre s’incline aux vieux murs des chaumières ;

Et le travail surgit innombrable et puissant ;

Et le vent semble fait de mouvante lumière

Pour frôler le bouton d’une rose trémière

Et le front hérissé d’un pâle épi naissant.
Frère Jacques, frère Jacques

Combien la vie entière à confiance en toi ;

Et comme l’oiseau chante au faîte de mon toit ;

Frère Jacques, frère Jacques,

Rude et vaillant carillonneur de Pâques.

Évaluations et critiques :

A Pâques
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