Les Fièvres

La plaine, au loin, est uniforme et morne

Et l’étendue est vide et grise

Et Novembre qui se précise

Bat l’infini, d’une aile grise.
Sous leurs torchis qui se lézardent,

Les chaumières, là-bas, regardent

Comme des bêtes qui ont peur,

Et seuls les grands oiseaux d’espace

Jettent sur les enclos sans fleurs

Le cri des angoisses qui passent.
L’heure est venue où les soirs mous

Pèsent sur les terres gangrenées,

Où les marais visqueux et blancs,

Dans leurs remous,

A longs bras lents,

Brassent les fièvres empoisonnées.
Parfois, comme un hoquet,

Un flot pâteux mine la rive

Et la glaise, comme un paquet,

Tombe dans l’eau de bile et de salive.
Puis tout s’apaise et s’aplanit ;

Des crapauds noirs, à fleur de boue,

Gonflent leur peau que deux yeux trouent ;

Et la lune monstrueuse préside,

Telle l’hostie

De l’inertie.
De la vase profonde et jaune

D’où s’érigent, longues d’une aune,

Les herbes d’eaux,

Des brouillards lents comme des traînes

Déplient leur flottement, parmi les draines ;

On les peut suivre, à travers champs,

Vers les chaumes et les murs blancs ;

Leurs fils subtils de pestilence

Tissent la robe de silence,

Gaze verte, tulle blême,

Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène,
La fièvre,

Elle est celle qui marche,

Sournoisement, courbée en arche,

Et personne n’entend son pas.

Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas,

Si la fenêtre est close,

Elle pénètre quand même et se repose,

Sur la chaise des vieux que les ans ploient,

Dans les berceaux où les petits larmoient

Et quelquefois elle se couche

Aux lits profonds où l’on fait souche.
Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtre,

Elle attise les maladies

Non éteintes, mais engourdies ;

Elle se mêle au pain qu’on mange,

A l’eau morne changée en fange ;

Elle monte jusqu’aux greniers,

Dort dans les sacs et les paniers

Où s’entassent mille loques à vendre ;

Puis, un matin, de palier en palier

On écoute son pas sinistre et régulier

Descendre.
Inutiles, voeux et pèlerinages

Et seins où l’on abrite les petits

Et bras en croix vers les images

Des bons anges et des vieux Christs.

Le mal hâve s’est installé dans la demeure.

Il vient, chaque vesprée, à tel moment,

Déchiqueter la plainte et le tourment,

Au régulier tic-tac de l’heure ;

Et l’horloge surgit déjà

Comme quelqu’un qui sonnera,

Lorsque viendra l’instant de la raison finie,

L’agonie.
En attendant, les mois se passent à languir.

Les malades rapetissés,

Leurs genoux lourds, leurs bras cassés,

Avec, en main, leurs chapelets.

Quittant leur lit, s’y recouchant,

Fuyant la mort et la cherchant,

Bégaient et vacillent leurs plaintes,

Pauvres lumières, presque éteintes.
Ils se traînent de chaumière en chaumière

Et d’âtre en âtre,

Se voir et doucement s’apitoyer,

Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer,

Atrocement, à leur terre marâtre ;

Des silences profonds coupent les litanies

De leurs misères infinies ;

Et quelquefois, ils se regardent

Au jour douteux de la fenêtre,

Sans rien se dire, avec des pleurs,

Comme s’ils voulaient se reconnaître

Lorsque leurs yeux seront ailleurs.
Ils se sentent de trop autour des tables

Où l’on mange rapidement

Un repas pauvre et lamentable ;

Leur coeur se serre, atrocement,

On les isole et les bêtes les flairent

Et les jurons et les colères

Volent autour de leur tourment.
Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas,

Ils s’agitent entre leurs draps,

Songeant qu’aux alentours, de village en village,

Les brouillards blancs sont en voyage,

Voudraient-ils ouvrir la porte

Pour que d’un coup la fièvre les emporte,

Vers les marais des landes

Où les mousses et les herbes s’étendent

Comme un tissu pourri de muscles et de glandes

Où s’écoute, comme un hoquet,

Un flot pâteux miner la rive,

Où leur corps mort, comme un paquet,

Choirait dans l’eau de bile et de salive.
Mais la lune, là-bas, préside,

Telle l’hostie

De l’inertie.

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