28 – Pour te donner vie je me donne mort

CCL [=CCXL] .
Ma voulenté reduicte au doulx servage

Du hault vouloir de ton commandement,

Trouve le joug, a tous aultres saulvage,

Le Paradis de son contentement.

Pource asservit ce peu d’entendement

Affin que Fame au Temps imperieuse,

Maulgré Fortune, & force injurieuse,

Puisse monstrer servitude non faincte,

Me donnant mort sainctement glorieuse,

Te donner vie immortellement saincte.
CCLI [=CCXLI] .
Ce n’est point cy, Pellerins, que mes voeutz

Avecques vous diversement me tiennent.

Car vous vouez, comme pour moy je veulx,

A Sainctz piteux, qui voz desirs obtiennent.

Et je m’adresse a Dieux, qui me detiennent,

Comme n’ayantz mes souhaictz entenduz.

Vous de voz voeutz heureusement renduz

Graces rendez, vous mettantz a dancer:

Et quand les miens iniquement perduz

Deussent finir, sont a recommancer.
CCLII [=CCXLII] .
En ce sainct lieu, Peuple devotieux,

Tu as pour toy saincteté favorable:

Et a mon bien estant negotieux,

Je l’ay trouvée a moy inexorable.

Jà reçoys tu de ton Ciel amyable

Plusieurs biensfaictz, & maintz emolumentz.

Et moy plainctz, pleurs, & pour tous monumentz

Me reste un Vent de souspirs excité.

Chassant le son de voz doulx instrumentz

Jusqu’a la double, & fameuse Cité.
CCLIII [=CCXLIII] .
Ces tiens, non yeulx, mais estoilles celestes,

Ont influence & sur l’Ame, & le Corps:

Combien qu’au Corps ne me soient trop molestes

En l’Ame, las, causent mille discordz,

Mille debatz, puis soubdain mille accordz,

Selon que m’est ma pensée agitée

Parquoy vaguant en Mer tant irritée

De mes pensers, tumultueux tourment,

Je suy ta face, ou ma Nef incitée

Trouve son feu, qui son Port ne luy ment.
CCLIIII [=CCXLIIII] .
Si je vois seul sans sonner mot, ne dire,

Mon peu parler te demande mercy:

Si je paslis accoup, comme plein d’ire,

A mort me point ce mien aigre soucy:

Et si pour toy je vis mort, ou transy,

Las comment puis je aller, & me movoir?

Amour me fait par un secret povoir

Jouir d’un coeur, qui est tout tien amy,

Et le nourris sans point m’appercevoir

Du mal, que fait un privé ennemy.
CCLV [=CCXLV] .
Mes tant longz jours, & languissantes nuictz,

Ne me sont fors une peine eternelle:

L’Esprit estainct de cures, & ennuyz,

Se renouvelle en ma guerre immortelle.

Car tout je sers, & vis en Dame telle,

Que le parfaict, dont sa beaulté abonde,

Enrichit tant ceste Machine ronde,

Que qui la veoit sans mourir, ne vit point:

Et qui est vif sans la scavoir au Monde,

Est trop plus mort, que si Mort l’avoit point.
CCLVI [=CCXLVI] .
Si de mes pleurs ne m’arousois ainsi,

L’Aure, ou le Vent, en l’air me respandroit,

Car jà mes os denuez de mercy

Percent leur peau toute arse en main endroit.

Quel los auroit, qui sa force estendroit,

Comme voulant contre un tel mort pretendre?

Mais veulx tu bien a piteux cas entendre,

Oeuvre trespie, & venant a propos?

Ceste despouille en son lieu vueilles rendre:

Lors mes amours auront en toy repos.
CCLVII [=CCXLVII] .
Nature en tous se rendit imparfaicte

Pour te parfaire, & en toy se priser.

Et toutesfois Amour, forme parfaicte,

Tasche a la foy plus, qu’a beaulté viser.

Et pour mon dire au vray authoriser,

Voy seulement les Papegaulx tant beaulx,

Qui d’Orient, de là les Rouges eaux,

Passent la Mer en ceste Europe froide,

Pour s’accointer des noirs, & laidz Corbeaux

Dessoubz la Bise impetueuse, & roide.
CCLVIII [=CCXLVIII] .
Ce mien languir multiplie la peine

Du fort desir, dont tu tiens l’esperance,

Mon ferme aymer t’en feit seure, & certaine,

Par lon travail, qui donna l’asseurance,

Mais toy estant fiere de ma souffrance,

Et qui la prens pour ton esbatement,

Tu m’entretiens en ce contentement

(Bien qu’il soit vain) par l’espoir, qui m’attire,

Comme vivantz tout d’un sustantement

Moy de t’aymer, & toy de mon martyre.

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