50 – Me saulvant je m’enclos

CCCCXLVII [=CCCCXXXVIII] .
Que je me fasche en si vain exercice,

Comme le mien, certainement fais:

Veu mesmement que d’un si long service

Ne voy encor sortir aulcuns effectz.

Et si je quitte & le joug, & le faix,

J’eschappe a doubte, espoir, ardeur, attente,

Pour cheoir es mains de la douleur lattente,

Et du regrect, qu’un aultre aye le prys

De mon labeur. Dont en voye patente

Saulver me cuyde, & plus fort je suis pris.
CCCCXLVIII [=CCCCXXXIX] .
Bien que raison soit nourrice de l’ame,

Alimenté est le sens du doulx songe

De vain plaisir, qui en tous lieux m’entame,

Me penetrant, comme l’eau en l’esponge.

Dedans lequel il m’abysme, & me plonge

Me suffocquant toute vigueur intime.

Dont pour excuse, & cause legitime

Je ne me doibs grandement esbahir,

Si ma tressaincte, & sage Dyotime

Tousjours m’enseigne a aymer, & hair.
CCCCXXVI [=CCCCXL] .
Resplendissantz les doulx rayz de ta grace,

Et esclairantz sur moy, mais sans effroy,

De mon coeur froid me rompirent la glace

Indissolvable alors, comme je croy,

Par un espoir d’un gratieux ottroy,

Que je m’attens de ta grace piteuse.

Mon ame ainsi de sa paix convoyteuse

Au doulx sejour, que tu luy peulx bailler,

Se reposant sur ta doulceur honteuse

Ne se veult plus en aultre travailler.
CCCCL [=CCCCXLI] .
Doncques apres mille travaulx, & mille,

Rire, plorer, & ardoir, & geler:

Apres desir, & espoir inutile,

Estre content, & puis se quereller,

Pleurs, plainctz, sanglotz, souspirs entremesler,

Je n’auray eu, que mort, & vitupere!

Qui d’Amour fut par sa voulenté pere

A plus grand bien, & non a fin sinistre,

M’à reservé voulant qu’a tous appere

Que j’ay esté de son vouloir ministre.
CCCCLI [=CCCCXLII] .
Pourroit donc bien (non que je le demande)

Un Dieu causer ce vivre tant amer?

Tant de travaulx en une erreur si grande,

Ou nous vivons librement pour aymer?

O ce seroit grandement blasphemer

Contre les Dieux, pur intellect des Cieulx.

Amour si sainct, & non point vicieux,

Du temps nous poulse a eternité telle,

Que de la Terre au Ciel delicieux

Nous oste a Mort pour la vie immortelle.
CCCCLII [=CCCCXLIII] .
Combien qu’a nous soit cause le Soleil

Que toute chose est tresclerement veue:

Ce neantmoins pour trop arrester l’oeil

En sa splendeur lon [=l’on] pert soubdain la veue.

Mon ame ainsi de son object pourveue

De tous mes sens me rend abandonné,

Comme si lors en moy tout estonné

Semeles fust en presence ravie

De son Amant de fouldre environné,

Qui luy ostast par ses esclairs la vie.
CCCCLIII [=CCCCXLIIII] .
Nature au Ciel, non Peripatetique,

Mais trop plus digne a si doulce folie,

Crea Amour sainctement phrenetique,

Pour me remplir d’une melencolie

Si plaisamment, que ceste qui me lye

A la Vertu me pouvant consommer,

Pour dignement par Raison renommer

Le bien, du bien qui sans comparaison

La monstre seule, ou je puisse estimer

Nature, Amour, & Vertu, & Raison.
CCCCLIIII [=CCCCXLV] .
Ainsi qu’Amour en la face au plus beau,

Propice object a noz yeulx agreable,

Hault colloqua le reluysant flambeau

Qui nous esclaire a tout bien desirable,

Affin qu’a tous son feu soit admirable,

Sans a l’honneur faire aulcun prejudice.

Ainsi veult il par plus louable indice,

Que mon Orphée haultement anobly,

Maulgré la Mort, tire son Euridice

Hors des Enfers de l’eternel obly.
CCCCLV [=CCCCXLVI] .
Rien, ou bien peu, faudroit pour me dissoudre

D’avec son vif ce caducque mortel:

A quoy l’Esprit se veult tresbien resouldre,

Jà prevoyant son corps par la Mort tel,

Qu’avecques luy se fera immortel.

Et qu’il ne peult que pour un temps perir.

Doncques, pour paix a ma guerre acquerir,

Craindray renaistre a vie plus commode?

Quand sur la nuict le jour vient a mourir,

Le soir d’icy est Aulbe a l’Antipode.

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