L’apologie du Diable

« Mon cher, fit-il soudain en taquinant le feu

Avec son stick, je crois que vous pensiez à Dieu.

Vous me direz que non, que vous lisiez Lucrèce,

Épicure, et que vous savouriez l’allégresse

De voir qu’ils ont tué les Dieux, Mais, entre nous,

Ne sentez-vous jamais monter dans vos genoux

Un frisson de terreur, quand leur voix révoltée

Dit le ciel vide?… Bref, êtes-vous bien athée?

Êtes-vous très certain que Dieu n’existe point?

Si Dieu n’est rien, pourquoi lui montrez-vous le poing?

Si ce n’est qu’un brouillard dont votre âme est trompée,

Pourquoi dans ces vapeurs donner des coups d’épée?

Don Quichotte chargeait, pour frapper un géant,

Sur un moulin; mais vous, c’est contre le néant

Que vous vous colletez avec l’ombre. C’est drôle.

Si Dieu n’existe pas, vous jouez un sot rôle;

Vous n’êtes qu’un roaeau pensant… comme mon stick.

Donc, au fond, vous croyez à Dieu, voià le hic.

Vous ne l’avouez pas; la honte est pitoyable.

Vous y croyez, my dear. J’y crois bien, moi, le Diable!

Si vous n’y croyions pas, nous autres les damnés,

Quel plaisir aurions-nous à lui cracher au nez?

Heureusaement, il est. On peut blaguer son oeuvre.

Il est partout, il est toujours, comme une pieuvre

Au corps informe, aux bras infinis et flottants,

Nageant sous les flots noirs de l’espace et du temps,

Et tenant l’Univers avec ses tentacules.

Ce n’est pas un de ces grands-pères ridicules,

A barbe blanche, à l’air folâtre et bon enfant.

C’est un monstre hideux et fantasque, étouffant

Le monde dont il boit le sang par ses ventouses.

Il a des désirs fous, des rancunes jalouses,

Des caprices, des cris de haine, des remords.

Il fait les hommes, puis il voudrait les voir morts.

Son Eden est un guet-apens. Il se déjuge

Et sa création aboutit au déluge.

Ensuite il se repent du tour qu’il a joué

En voulant tout détruire : il conserve Noé.

Pourquoi? Pour amener ce résultat, en somme,

Que son Fils, éternel, infini, se fasse homme,

Naisse sans déflorer sa mère, et meure en croix.

C’est un original, allez, le Roi des Rois!

Il fait martyriser ses bons catéchumènes

Pour amuser la plèbe et les catins romaines.

Il fait verser du sang, brûler des corps, afin

De pouvoir dire un jour en riant d’un air fin :

« Saint-Pierre, tu seras ans l’Église ma pierre. °

Le voyez-vous d’ici, gai, plissant sa paupière,

Ayant fait massacrer des milliers d’hommes pour

Accoucher à la fin d’un piètre calembour?

Heureux s’il n’eût commis que de pareilles bourdes!

Mais, plus que son esprit encor, ses mains sont lourdes.

Quand nous dirions de lui pis que pendre en effet,

Nous n’en dirions jamais autant qu’il en a fait.

Je ne suis pas, mon cher, un professeur d’histoire,

Et je ne veux pas prendre un ton déclamatoire

Ni m’emballer en vous contant par le menu

Un tas de crimes dont le cours vous est connu.

Partout où la pensée éclate, où le coeur vibre,

Quand on s’efforce d’être heureux ou d’être libre,

Quand on travaille afin de conquérir un droit,

Quand dans un bénitier l’on se trouve à l’étroit,

Quand on ne veut pas être une bête de somme,

On voit paraître Dieu pour assassiner l’homme.

Oui, persécutions, exils, bagnes, cachots,

Huile en feu, plomb fondu, poix bouillante, fers chauds,

Tenailles arrachant les ongles, lames torses,

Brodequins pour les pieds, chevalets pour les torses,

Fouets, grils, bûchers, gibets, croix, écartèlements,

O couronne de Dieu voilà tes diamants! »

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L’apologie du Diable
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