Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée

Admirez le pouvoir insigne

Et la noblesse de la ligne :

Elle est la voix que la lumière fit entendre

Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre.
(La Tortue)
Du Thrace magique, ô délire !

Mes doigts sûrs font sonner la lyre.

Les animaux passent aux sons

De ma tortue, de mes chansons.
(Le Cheval)
Mes durs rêves formels sauront te chevaucher,

Mon destin au char d’or sera ton beau cocher

Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie,

Mes vers, les parangons de toute poésie.
(La Chèvre du Tibet)
Les poils de cette chèvre et même

Ceux d’or pour qui prit tant de peine

Jason, ne valent rien au prix

Des cheveux dont je suis épris.
(Le Serpent)
Tu t’acharnes sur la beauté.

Et quelles femmes ont été

Victimes de ta cruauté !

Ève, Euridice, Cléopâtre ;

J’en connais encor trois ou quatre.
(Le Chat)
Je souhaite dans ma maison :

Une femme ayant sa raison,

Un chat passant parmi les livres,

Des amis en toute saison

Sans lesquels je ne peux pas vivre.
(Le Lion)
Ô lion, malheureuse image

Des rois chus lamentablement,

Tu ne nais maintenant qu’en cage

À Hambourg, chez les Allemands.
(Le Lièvre)
Ne soit pas lascif et peureux

Comme le lièvre et l’amoureux.

Mais que toujours ton cerveau soit

La hase pleine qui conçoit.
(Le Lapin)
Je connais un autre connin

Que tout vivant je voudrais prendre.

Sa garenne est parmi le thym

Des vallons du pays de Tendre.
(Le Dromadaire)
Avec ses quatre dromadaires

Don Pedro d’Alfaroubeira

Courut le monde et l’admira.

Il fit ce que je voudrais faire

Si j’avais quatre dromadaires.
(La Souris)
Belles journées, souris du temps,

Vous rongez peu à peu ma vie.

Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans,

Et mal vécus, à mon envie.
(L’Éléphant)
Comme un éléphant son ivoire,

J’ai en bouche un bien précieux.

Pourpre mort !.. J’achète ma gloire

Au prix des mots mélodieux.
(Orphée)
Regardez cette troupe infecte

Aux mille pattes, au cent yeux :

Rotifères, cirons, insectes

Et microbes plus merveilleux

Que les sept merveilles du monde

Et le palais de Rosemonde !
(La Chenille)
Le travail mène à la richesse.

Pauvres poètes, travaillons !

La chenille en peinant sans cesse

Devient le riche papillon.
(La Mouche)
Nos mouches savent des chansons

Que leur apprirent en Norvège

Les mouches ganiques qui sont

Les divinités de la neige.
(La Puce)
Puces, amis, amantes même,

Qu’ils sont cruels ceux qui nous aiment !

Tout notre sang coule pour eux.

Les bien-aimés sont malheureux.
(La Sauterelle)
Voici la fine sauterelle,

La nourriture de saint Jean.

Puissent mes vers être comme elle,

Le régal des meilleures gens.
(Orphée)
Que ton cœur soit l’appât et le ciel, la piscine !

Car, pécheur, quel poisson d’eau douce ou bien marine

Égale-t-il, et par la forme et la saveur,

Ce beau poisson divin qu’est JÉSUS, Mon Sauveur ?
(Le Dauphin)
Dauphins, vous jouez dans la mer,

Mais le flot est toujours amer.

Parfois, ma joie éclate-t-elle ?

La vie est encore cruelle.
(Le Poulpe)
Jetant son encre vers les cieux,

Suçant le sang de ce qu’il aime

Et le trouvant délicieux,

Ce monstre inhumain, c’est moi-même.
(La Méduse)
Méduses, malheureuses têtes

Aux chevelures violettes

Vous vous plaisez dans les tempêtes,

Et je m’y plais comme vous faites.
(L’Écrevisse)
Incertitude, ô mes délices

Vous et moi nous nous en allons

Comme s’en vont les écrevisses,

À reculons, à reculons.
(La Carpe)
Dans vos viviers, dans vos étangs,

Carpes, que vous vivez longtemps !

Est-ce que la mort vous oublie,

Poissons de la mélancolie.
(Orphée)
La femelle de l’alcyon,

L’Amour, les volantes Sirènes,

Savent de mortelles chansons

Dangereuses et inhumaines.

N’oyez pas ces oiseaux maudits,

Mais les Anges du paradis.
(Les Sirènes)
Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui

Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?

Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées

Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.
(La Colombe)
Colombe, l’amour et l’esprit

Qui engendrâtes Jésus-Christ,

Comme vous j’aime une Marie.

Qu’avec elle je me marie.
(Le Paon)
En faisant la roue, cet oiseau,

Dont le pennage traîne à terre,

Apparaît encore plus beau,

Mais se découvre le derrière.
(Le Hibou)
Mon pauvre cœur est un hibou

Qu’on cloue, qu’on décloue, qu’on recloue.

De sang, d’ardeur, il est à bout.

Tous ceux qui m’aiment, je les loue.
(Ibis)
Oui, j’irai dans l’ombre terreuse

Ô mort certaine, ainsi soit-il !

Latin mortel, parole affreuse,

Ibis, oiseau des bords du Nil.
(Le Bœuf)
Ce chérubin dit la louange

Du paradis, où, près des anges,

Nous revivrons, mes chers amis,

Quand le bon Dieu l’aura permis.

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Le Bestiaire, ou Cortège d’Orphée
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