La forêt canadienne

C’est l’automne. Le vent balance

Les ramilles, et par moments

Interrompt le profond silence

Qui plane sur les bois dormants.
Des flaques de lumière douce,

Tombant des feuillages touffus,

Dorent les lichens et la mousse

Qui croissent au pied des grands fûts.
De temps en temps, sur le rivage,

Dans l’anse où va boire le daim,

Un écho s’éveille soudain

Au cri de quelque oiseau sauvage.
La mare sombre aux reflets clairs,

Dont on redoute les approches,

Caresse vaguement les roches

De ses métalliques éclairs.
Et sur le sol, la fleur et l’herbe,

Sur les arbres, sur les roseaux,

Sur la croupe du mont superbe,

Comme sur l’aile des oiseaux.

Sur les ondes, sur la feuillée,

Brille d’un éclat qui s’éteint

Une atmosphère ensoleillée : -

C’est l’Été de la Saint-Martin;
L’époque où les feuilles jaunies

Qui se parent d’un reflet d’or,

Émaillent la forêt qui dort

De leurs nuances infinies.
Ô fauves parfums des forêts!

Ô mystère des solitudes!

Qu’il fait bon, loin des multitudes,

Rechercher vos calmes attraits!
Ouvrez-moi vos retraites fraîches!

À moi votre dôme vermeil,

Que transpercent comme des flèches

Les tièdes rayons du soleil!
Je veux, dans vos sombres allées,

Sous vos grands arbres chevelus,

Songer aux choses envolées

Sur l’aile des temps révolus.
Rêveur ému, sous votre ombrage,

Oui, je veux souvent revenir,

Pour évoquer le souvenir

Et le fantôme d’un autre âge.

J’irai de mes yeux éblouis,

Relire votre fier poème,

Ô mes belles forêts que j’aime!

Vastes forêts de mon pays!
Oui, j’irai voir si les vieux hêtres

Savent ce que sont devenus

Leurs rois d’alors, vos anciens maîtres,

Les guerriers rouges aux flancs nus.
Vos troncs secs, vos buissons sans nombre

Me diront s’ils n’ont pas jadis

Souvent vu ramper dans leur ombre

L’ombre de farouches bandits.
J’interrogerai la ravine,

Où semble se dresser encor

Le tragique et sombre décor

Des sombres drames qu’on devine.
La grotte aux humides parois

Me dira les sanglants mystères

De ces peuplades solitaires

Qui s’y blottirent autrefois.
Je saurai des pins centenaires,

Que la tempête a fait ployer,

Le nom des tribus sanguinaires

Dont ils abritaient le foyer.

J’irai, sur le bord des cascades,

Demander aux rochers ombreux

A quelles noires embuscades

Servirent leurs flancs ténébreux.

Je chercherai, dans les savanes,

La piste des grands élans roux

Que l’Iroquois, rival des loups,

Chassait jadis en caravanes.
Enfin, quelque biche aux abois,

Dans mon rêve où le tableau change,

Fera surgir le type étrange

De nos hardis coureurs des bois.
Et… brise, écho, feuilles légères,

Souples rameaux, fourrés secrets,

Oiseaux chanteurs, molles fougères

Qui bordez les sentiers discrets.
Bouleaux, sapins, chênes énormes,

Débris caducs d’arbres géants,

Rocs moussus aux masses difformes,

Profondeurs des antres béants.
Sommets que le vent décapite,

Gorge aux imposantes rumeurs,

Cataracte aux sourdes clameurs :

Tout ce qui dort, chante ou palpite…

Dans ses souvenirs glorieux

La forêt entière drapée,

Me dira l’immense épopée

De son passé mystérieux.
Mais, quand mon oreille attentive

De tous ces bruits s’enivrera,

Tout près de moi retentira…

Un sifflet de locomotive!

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La forêt canadienne
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