Poète, on t’applaudit! poète on te couronne!

Le laurier du vainqueur sur ta tête rayonne;

Le passant jette à flots des fleurs sur ton chemin;

Au tournoi de la lyre on t’a cédé l’arène;

Ta muse à ses rivaux sourit en souveraine :

Et je ne suis plus là pour te serrer la main!
Pourtant, naguère encor, suivant la même étoile,

Nous n’avions qu’une nef, nous n’avions qu’une voile;

Nos luths comme nos coeurs vibraient à l’unisson.

Poètes de vingt ans, c’étaient luttes sans trève :

C’était à qui de nous ferait le plus beau rêve,

C’était à qui ferait la plus belle chanson.
Nous rêvions, nous chantions, – c’était là notre vie.

Et, rivaux fraternels, sans fiel et sans envie,

A la muse des vers nous faisions notre cour.

Tu charmais les zéphyrs, je narguais la bourrasque;

Et nous voguions tous deux, toi songeur, moi fantasque,

L’âme ivre de printemps, de soleil et d’amour.

Nos soirs étaient sereins, nos matins étaient roses,

Tout était calme et pur; nuls nuages moroses

N’estompaient l’horizon – ô présage moqueur!

J’aimais… et je croyais à l’amitié fidèle;

Tout me parlait d’espoir, quand le sort, d’un coup d’aile,

Brisa mes rêves d’or, ma boussole et mon coeur!
L’orage m’emporta loin de la blonde rive

Où ton esquif flottait toujours à la dérive,

Bercé par des flots bleus pleins d’ombrages mouvants.

Et depuis, ballotté par la mer écumante,

Hochet de l’ouragan, jouet de la tourmente,

J’erre de vague en vague à la merci des vents.
Oui, je suis loin, ami! mais parfois les rafales

M’apportent des lambeaux de clameurs triomphales;

Et j’écoute, orgueilleux, ton nom que l’on redit…

Alors je me demande, en secret, dans mon âme,

Si tu songes parfois, quand la foule t’acclame,

A celui qui jadis tant de fois t’applaudit.

Chicago, octobre 1869.

Évaluations et critiques :

A Pamphile Lemay
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