La Mort dans la vie – Chapitre 7

DON JUAN.
Heureux adolescents, dont le cœur s’ouvre à peine

Comme une violette à la première haleine

Du printemps qui sourit,

Ames couleurs de lait, frais buissons d’aubépine

Où, sous le pur rayon, dans la pluie argentine

Tout gazouille et fleurit.
O vous tous qui sortez des bras de votre mère

Sans connaître la vie et la science amère,

Et qui voulez savoir,

Poètes et rêveurs, plus d’une fois, sans doute,

Aux lisières des bois, en suivant votre route

Dans la rougeur du soir,
A l’heure enchanteresse, où sur le bout des branches

On voit se becqueter les tourterelles blanches

Et les bouvreuils au nid,

Quand la nature lasse en s’endormant soupire,

Et que la feuille au vent vibre comme une lyre

Après le chant fini ;
Quand le calme et l’oubli viennent à toutes choses

Et que le sylphe rentre au pavillon des roses

Sous les parfums plié ;

Emus de tout cela, pleins d’ardeurs inquiètes

Vous avez souhaité ma liste et mes conquêtes ;

Vous m’avez envié
Les festins, les baisers sur les épaules nues,

Toutes ces voluptés à votre âge inconnues,

Aimable et cher tourment !

Zerbine, Elvire, Anna, mes Romaines jalouses,

Mes beaux lis d’Albion, mes brunes Andalouses,

Tout mon troupeau charmant.
Et vous vous êtes dit par la voix de vos âmes :

Comment faisais-tu donc pour avoir plus de femmes

Que n’en a le sultan ?

Comment faisais-tu donc, malgré verroux et grilles,

Pour te glisser au lit des belles jeunes filles,

Heureux, heureux don Juan !
Conquérant oublieux, une seule de celles

Que tu n’inscrivais pas, une entre tes moins belles

Ta plus modeste fleur,

Oh ! combien et longtemps nous l’eussions adorée !

Elle aurait embelli, dans une urne dorée,

L’autel de notre cœur.
Elle aurait parfumé, cette humble paquerette

Dont sous l’herbe ton pied a fait ployer la tête,

Notre pâle printemps ;

Nous l’aurions recueillie, et de nos pleurs trempée,

Cette étoile aux yeux bleus, dans le bal échappée

A tes doigts inconstants.
Adorables frissons de l’amoureuse fièvre,

Ramiers qui descendez du ciel sur une lèvre,

Baisers âcres et doux,

Chutes du dernier voile, et vous cascades blondes,

Cheveux d’or, inondant un dos brun de vos ondes

Quand vous connaîtrons-nous ?
Enfant, je les connais tous ces plaisirs qu’on rêve ;

Autour du tronc fatal l’antique serpent d’Ève

Ne s’est pas mieux tordu.

Aux yeux mortels, jamais dragon à tête d’homme

N’a d’un plus vif éclat fait reluire la pomme

De l’arbre défendu.
Souvent, comme des nids de fauvettes farouches,

Tout prêts à s’envoler, j’ai surpris sur des bouches

Des nids d’aveux tremblants,

J’ai serré dans mes bras de ravissants fantômes,

Bien des vierges en fleur m’ont versé les purs baumes

De leurs calices blancs.
Pour en avoir le mot, courtisanes rusées,

J’ai pressé, sous le fard, vos lèvres plus usées

Que le grès des chemins.

Égouts impurs, où vont tous les ruisseaux du monde,

J’ai plongé sous vos flots ; et toi, débauche immonde,

J’ai vu tes lendemains.
J’ai vu les plus purs fronts rouler après l’orgie

Parmi les flots de vin, sur la nappe rougie ;

J’ai vu les fins de bal

Et la sueur des bras, et la pâleur des têtes

Plus mornes que la mort sous leurs boucles défaites

Au soleil matinal.
Comme un mineur qui suit une veine inféconde,

J’ai fouillé nuit et jour l’existence profonde

Sans trouver le filon.

J’ai demandé la vie à l’amour qui la donne,

Mais vainement ; je n’ai jamais aimé personne

Ayant au monde un nom.
J’ai brûlé plus d’un cœur dont j’ai foulé la cendre,

Mais je restai toujours comme la Salamandre,

Froid au milieu du feu.

J’avais un idéal frais comme la rosée,

Une vision d’or, une opale irisée

Par le regard de Dieu ;
Femme, comme jamais sculpteur n’en a pétrie,

Type réunissant Cléopâtre et Marie,

Grâce, pudeur, beauté ;

Une rose mystique, où nul ver ne se cache,

Les ardeurs du volcan et la neige sans tache

De la virginité !
Au carrefour douteux, Y grec de Pythagore,

J’ai pris la branche gauche et je chemine encore

Sans arriver jamais.

Trompeuse volupté, c’est toi que j’ai suivie,

Et peut-être, ô vertu ! l’énigme de la vie ;

C’est toi qui la savais.
Que n’ai-je, comme Faust, dans ma cellule sombre,

Contemplé sur le mur la tremblante penombre

Du microcosme d’or !

Que n’ai-je, feuilletant cabales et grimoires,

Auprès de mon fourneau, passé les heures noires

A chercher le trésor !
J’avais la tête forte, et j’aurais lu ton livre

Et bu ton vin amer, Science, sans être ivre

Comme un jeune écolier.

J’aurais contraint Isis à relever son voile ;

Et du plus haut des cieux fait descendre l’étoile

Dans mon noir atelier.
N’écoutez pas l’amour car c’est un mauvais maître ;

Aimer, c’est ignorer, et vivre c’est connaître.

Apprenez, apprenez ;

Jetez et rejetez à toute heure la sonde ;

Et plongez plus avant sous cette mer profonde

Que n’ont fait vos aînés.
Laissez Léviathan souffler par ses narines,

Laissez le poids des mers au fond de vos poitrines

Presser votre poumon.

Fouillez les noirs écueils qu’on n’a pu reconnaître,

Et dans son coffre d’or vous trouverez peut-être

L’anneau de Salomon !

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