Jadis certain
Mogol vit en songe un vizir,
Aux champs Élysiens possesseur d'un plaisir
Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée ;
Le même songeur vit en une autre contrée
Un hermite entouré de feux,
Qui touchait de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange et contre l'ordinaire :
Minos en ces deux morts semblait s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla, tant il en fut surpris.
Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,
Il se fit expliquer l'affaire.
L'interprète lui dit : «
Ne vous étonnez point,
Votre songe a du sens, et, si j'ai sur ce point,
Acquis tant soit peu d'habitude,
C'est un avis des dieux.
Pendant l'humain séjour,
Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;
Cet hermite aux vizirs allait faire sa cour. »
Si j'osais ajouter au mot de l'interprète,
J'inspirerais ici l'amour de la retraite :
Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du
Qel, qui naissent sous les i
Solitude, où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais ?
Oh qui m'arrêtera sous vos sombres asiles ?
Quand pourront les neuf
Sœurs, loin des cours et des
villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des deux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ?
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets ;
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
La
Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie ;
Je ne dormirai point sous de riches lambris :
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond et moins plein de délices ?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.
Jean de La Fontaine
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