Très humble requête de Théophile à Monseigneur le premier président

Privé de la clarté des cieux

Sous l’enclos d’une voûte sombre

Où les limites de mes yeux

Sont dans l’espace de mon ombre,

Dévoré d’un ardent désir

Qui soupire après le plaisir

Et la liberté de ma vie,

Je m’irrite contre le sort

Et ne veux plus mal à l’envie

Que d’avoir différé ma mort.

Plût au Ciel qu’il me fût permis,

Sans violer les droits de l’âme,

De me rendre à mes ennemis,

Et moi-même allumer ma flamme!

Que bientôt j’aurais évité

La honteuse captivité

Dont la force du temps me lie!

Aujourd’hui mes sens bienheureux

Verraient ma peine ensevelie

Dans un sépulcre généreux.

Mais ce grand Dieu qui fit nos lois,

Lorsqu’il régla nos destinées

Ne laissa point à notre choix

La mesure de nos années.

Quand nos astres ont fait leurs cours,

Et que la trame de nos jours

N’a plus aucun filet à suivre,

L’homme alors peut changer de lieu,

Et pour continuer de vivre

Ne doit mourir qu’avecque Dieu.

Aussi me puis-je bien vanter

Que dans l’horreur d’une aventure

Assez capable de tenter

La faiblesse de la nature,

Le Ciel, ami des innocents,

Fit voir à mes timides sens

Sa divinité si propice

Qu’encore j’ai toujours été

Sur le bord de mon précipice

D’un visage assez arrêté.

Il est vrai qu’au point d’endurer

Les affronts que la calomnie

M’a fait si longuement durer,

Ma constance se voit finie.

Dans ce sanglant ressouvenir

Celui qui veut me retenir

Il a ses passions trop lentes,

Et n’a jamais été battu

Des prospérités insolentes

Qui s’attaquent à la vertu.

Mais, ô l’erreur de mes esprits!

Dans le siècle infâme où nous sommes,

Tout ce déshonneur n’est qu’un prix

Pour passer le commun des hommes.

Combien de favoris de Dieu

Dans un plus misérable lieu

Ont senti de pires malices,

Et dans leurs innocentes mains,

Qui n’avaient que les Cieux complices,

Reçu des fers inhumains!

D’ailleurs l’épine est sous la fleur,

Le jour sort d’une couche noire;

Et que sais-je si mon malheur

N’est point la source de ma gloire?

Un jour mes ennuis effacés,

Dans mon souvenir retracés,

Seront eux-même leur salaire:

Toutes les choses ont leur tour,

Dieu veut souvent que la colère

Soit la marque de son amour.

Qui me pourra persuader

Que la Cour soit toujours charmée?

D’où la peut encore aborder

Le venin de la renommée?

Si Verdun ouvre un peu ses yeux

Quel esprit assez captieux

Pourra mordre à sa conscience?

De quel vent peut-on écumer

Dans ce grand gouffre de science

Pour n’y pas bientôt abîmer?

Grande lumière de nos jours,

Dont les projets sont des miracles,

Et de qui les communs discours

Ont plus de poids que les oracles,

Sainte guide de tant de dieux

Qui, sur le modèle des cieux,

Donnez des règles à la terre,

Dieu sans excès et sans défaut,

Vous avez ça-bas un tonnerre,

Comme en a ce grand Dieu là-haut.

Le Ciel par de si beaux crayons

Marque le fil de vos harangues

Qu’on y voit les mêmes rayons

Du grand trésor de tant de langues

Qu’il versa par le Saint-Esprit

Au disciples de Jésus-Christ.

Paris est jaloux que Toulouse

Ait eu devant lui tant d’honneur,

L’Europe est aujourd’hui jalouse

Que la France ait tout ce bonheur.

Quand je pense profondément

A vos vertus si reconnues,

Mon espoir prend un fondement

Qui l’élève au dessus des nues,

Je laisse reposer mes soins,

Les alarmes des faux témoins

Ne me donnent plus tant de crainte,

Et mon esprit tout transporté,

Au milieu de tant de contrainte,

Goûte à demi ma liberté.

C’est de vous sur tous que j’attends

A voir retrancher la licence

Qui fait habiter trop longtemps

La crainte avec l’innocence;

Et quand tout l’Enfer répandrait

Ses ténèbres sur mon bon droit,

Je sais que votre esprit éclate

Dans la plus noire obscurité,

Et que tout l’appas qui vous flatte

C’est la voix de la vérité.

Mais, ô l’honneur du Parlement!

Tout ce que j’écris vous offense

Puisqu’écrire ici seulement

C’est violer votre défense.

Mon faible esprit s’est débauché

A l’objet d’un si doux péché,

Et croit sa faute légitime,

Car la vertu doit avouer

Qu’elle-même est pis que le crime,

Si c’est crime que vous louer.

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