Ode
Dans ce val solitaire et sombre

Le cerf qui brame au bruit de l’eau,

Penchant ses yeux dans un ruisseau,

S’amuse à regarder son ombre.
De cette source une Naïade

Tous les soirs ouvre le portail

De sa demeure de cristal

Et nous chante une sérénade.
Les Nymphes que la chasse attire

À l’ombrage de ces forêts

Cherchent des cabinets secrets

Loin de l’embûche du Satyre.
Jadis au pied de ce grand chêne,

Presque aussi vieux que le Soleil,

Bacchus, l’Amour et le Sommeil

Firent la fosse de Silène.
Un froid et ténébreux silence

Dort à l’ombre de ces ormeaux,

Et les vents battent les rameaux

D’une amoureuse violence.
L’esprit plus retenu s’engage

Au plaisir de ce doux séjour,

Où Philomèle nuit et jour

Renouvelle un piteux langage.
L’orfraie et le hibou s’y perche,

Ici vivent les loup-garous,

Jamais la justice en courroux

Ici de criminels ne cherche.
Ici l’Amour fait ses études,

Vénus y dresse des autels,

Et les visites des mortels

Ne troublent point ces solitudes.
Cette forêt n’est point profane,

Ce ne fut point sans la fâcher

Qu’Amour y vint jadis cacher

Le berger qu’enseignait Diane.
Amour pouvait par innocence,

Comme enfant, tendre ici des rets ;

Et comme reine des forêts,

Diane avait cette licence.
Cupidon, d’une douce flamme

Ouvrant la nuit de ce vallon,

Mit devant les yeux d’Apollon

Le garçon qu’il avait dans l’âme.
A l’ombrage de ce bois sombre

Hyacinthe se retira,

Et depuis le Soleil jura

Qu’il serait ennemi de l’ombre.
Tout auprès le jaloux Borée,

Pressé d’un amoureux tourment,

Fut la mort de ce jeune amant,

Encore par lui soupirée.
Sainte forêt, ma confidente,

Je jure par le Dieu du jour

Que je n’aurai jamais amour

Qui ne te soit toute évidente.
Mon ange ira par cet ombrage :

Le Soleil, le voyant venir,

Ressentira du souvenir

L’accès de sa première rage.
Corinne, je te prie, approche ;

Couchons-nous sur ce tapis vert ;

Et pour être mieux à couvert

Entrons au creux de cette roche.
Ouvre tes yeux, je te supplie ;

Mille Amours logent là-dedans,

Et de leurs petits traits ardents

Ta prunelle est toute remplie.
Amour de tes regards soupire,

Et ton esclave devenu,

Se voit lui-même retenu

Dans les liens de son empire.
Ô beauté sans doute immortelle,

Où les Dieux trouvent des appas,

Par vos yeux je ne croyais pas

Que vous fussiez du tout si belle !
Qui voudrait faire une peinture

Qui pût ses traits représenter,

Il faudrait bien mieux inventer

Que ne fera jamais nature.
Tout un siècle les destinées

Travaillèrent après ses yeux,

Et je crois que pour faire mieux

Le temps n’a point assez d’années.
D’une fierté pleine d’amorce,

Ce beau visage a des regards,

Qui jettent des feux et des dards,

Dont les Dieux aimeraient la force.
Que ton teint est de bonne grâce !

Qu’il est blanc et qu’il est vermeil !

Il est plus net que le Soleil

Et plus uni que de la glace.
Mon Dieu, que tes cheveux me plaisent !

Ils s’ébattent dessus ton front,

Et les voyant beaux comme ils sont,

Je suis jaloux quand ils te baisent.
Belle bouche d’ambre et de rose,

Ton entretien est déplaisant

Si tu ne dis en me baisant

Qu’aimer est une belle chose.
D’un air plein d’amoureuse flamme,

Aux accents de ta douce voix,

Je vois les fleuves et les bois

S’embraser comme a fait mon âme.
Si tu mouilles tes doigts d’ivoire

Dans le cristal de ce ruisseau,

Le Dieu qui loge dans cette eau

Aimera s’il en ose boire.
Présente-lui ta face nue,

Tes yeux avecque l’eau riront,

Et dans ce miroir écriront

Que Vénus est ici venue.
Si bien elle y sera dépeinte,

Les Faunes s’en enflammeront,

Et de tes yeux qu’ils aimeront,

Ne sauront découvrir la feinte.
Entends ce Dieu qui te convie

A passer dans son élément,

Ois qu’il soupire bellement

Sa liberté déjà ravie.
Trouble-lui cette fantaisie,

Détourne-toi de ce miroir,

Tu le mettras au désespoir

Et m’ôteras la jalousie.
Vois-tu ce tronc et cette pierre ?

Je crois qu’ils prennent garde à nous,

Et mon amour devient jaloux

De ce myrte et de ce lierre.
Sus, ma Corinne, que je cueille

Tes baisers du matin au soir !

Vois comment pour nous faire asseoir

Ce myrte a laissé choir sa feuille.
Ois le pinson et la linotte

Sur la branche de ce rosier,

Vois branler leur petit gosier,

Ois comme ils ont changé de note.
Approche, approche, ma Dryade !

Ici murmureront les eaux,

Ici les amoureux oiseaux

Chanteront une sérénade.
Prête-moi ton sein pour y boire

Des odeurs qui m’embaumeront ;

Ainsi mes sens se pâmeront

Dans les lacs de tes bras d’ivoire.
Je baignerai mes mains folâtres

Dans les ondes de tes cheveux,

Et ta beauté prendra les vœux

De mes oeillades idolâtres.
Ne crains rien, Cupidon nous garde.

Mon petit ange, es-tu pas mien ?

Ah ! Je vois que tu m’aimes bien :

Tu rougis quand je te regarde.
Dieux ! que cette façon timide

Est puissante sur mes esprits !

Renaud ne fut pas mieux épris

Par les charmes de son Armide.
Ma Corinne, que je t’embrasse !

Personne ne nous voit qu’Amour ;

Vois que même les yeux du jour

Ne trouvent point ici de place.
Les vents qui ne se peuvent taire

Ne peuvent écouter aussi,

Et ce que nous ferons ici

Leur est un inconnu mystère.

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La Solitude
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