La pluie ne forme pas les seuls traits d'union entre le sol et les cieux : il en existe d'une autre sorte, moins intermittents et beaucoup mieux tramés, dont le vent si fort qu'il l'agite
n'emporte pas le tissu. S'il réussit parfois dans une certaine saison à en détacher peu de choses, qu'il s'efforce alors de réduire dans son tourbillon, l'on s'aperçoit
à la fin du compte qu'il n'a rien dissipé du tout.
A y regarder de plus près, l'on se trouve alors à l'une des mille portes d'un immense laboratoire, hérissé d'appareils hydrauliques multiformes, tous beaucoup plus
compliqués que les simples colonnes de la pluie et doués d'une originale perfection : tous à la fois cornues, filtres, siphons, alambics.
Ce sont ces appareils que la pluie rencontre justement d'abord, avant d'atteindre le sol. Ils la reçoivent dans une quantité de petits bols, disposés en foule à tous les
niveaux d'une plus ou moins grande profondeur, et qui se déversent les uns dans les autres jusqu'à ceux du degré le plus bas, par qui la terre enfin est directement
ramoitie.
Ainsi ralentissent-ils l'ondée à leur façon, et en gardent-ils longtemps l'humeur et le bénéfice au sol après la disparition du météore. A eux seuls
appartient le pouvoir de faire briller au soleil les formes de la pluie, autrement dit d'exposer sous le point de vue de la joie les raisons aussi religieusement admises, qu'elles furent par la
tristesse précipitamment formulées. Curieuse occupation, énigmatiques caractères.
Ils grandissent en stature à mesure que la pluie tombe; mais avec plus de régularité, plus de discrétion; et, par une sorte de force acquise, même alors qu'elle ne
tombe plus. Enfin, l'on retrouve encore de l'eau dans certaines ampoules qu'ils forment et qu'ils portent avec une rougissante affectation, que l'on appelle leurs fruits.
Telle est, semble-t-il, la fonction physique de cette espèce de tapisserie à trois dimensions à laquelle on a donné le nom de végétation pour d'autres
caractères qu'elle présente et en particulier pour la sorte de vie qui l'anime... Mais j'ai voulu d'abord insister sur ce point : bien que la faculté de réaliser leur propre
synthèse et de se produire sans qu'on les en prie (voire entre les pavés de la Sorbonne), apparente les appareils végétatifs aux animaux, c'est-à-dire à toutes
sortes de vagabonds, néanmoins en beaucoup d'endroits à demeure ils forment un tissu, et ce tissu appartient au monde comme l'une de ses assises.
Francis Ponge
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