Notes D’un Poème

Le langage ne se refuse qu'à une chose, c'est à faire aussi peu de bruit que le silence.
L'absence se manifeste encore par des loques (cf. Rimbaud). Tandis que n'importe quels signes, sauf peut-être ceux de l'absence, nous laissent absents.
Mallarmé n'est pas de ceux qui pensent mettre le silence aux paroles. Il a une haute idée du pouvoir du poète. Il trahit le bruit par le bruit.
II ne décourage personne de l'ordre, de la folie.
Il a coffré le trésor de la justice, de la logique, de tout l'adjectif. Les magistrats de ces arts repasseront plus tard.
Moments où les proverbes ne suffisent plus. Après une certaine maladie, une certaine émeute, peur, bouleversement.
A ceux qui ne veulent plus d'arguments, qui ne se contentent plus des proverbes en fonte, des armes d'en-ferrement mutuel, Mallarmé offre une massue cloutée d'expressions-fixes, pour

servir au coup-par-supériorité.
Il a créé un outil antilogique. Pour vivre, pour lire et écrire. Contre le gouvernement, les philosophes, les poètes-penseurs. Avec la dureté de leur matière

logique.
A brandir Mallarmé le premier qui se brise est un disciple soufflé de verre.
Chaque désir d'expression poussé à maximité.
Poésie n'est point caprice si le moindre désir y fait maxime.
Non à tout prix Vidée, non à tout prix la beauté, la forme reconnue, mais ce qui mérite à la fois les éloges de l'esprit de recherche et les éloges de

l'esprit de découverte.
II y a autant de hasard d'appétition que de hasard d'imagination. Autant de hasard de « il faut vivre » que de hasard de « on ne peut vivre ».
Affranchissement non pas de l'imagination, du rêve, de la fuite des idées, mais affranchissement de l'appé-tition, du désir de vivre, de chaque caprice d'expression.
Nécessité purement cristalline, purement de formation.
N'importe quel hasard élevé au caractère de la fixité. Proverbes du gratuit. Folie, capable de victoire dans une discussion pratique.
Plus tard on en viendra à faire servir Mallarmé comme proverbes. En 1926 il n'a pas encore beaucoup servi. Sinon beaucoup aux poètes, pour se parler à eux-mêmes. Il

s'est nommé et demeurera au littérateur pour socle d'attributs.
Malherbe, Corneille, Boileau voulaient plutôt dire « certainement ». La poésie de Mallarmé revient à dire simplement « Oui ». « Oui » à

soi-même, à lui-même, chaque fois qu'il le désire.
Poète, non pour exprimer le silence.
Poète, pour couvrir les autres voix surprenantes du hasard.

Francis Ponge
Poésie

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