Ce que j'écris maintenant a peut-être une valeur propre : je n'en sais rien. Du fait de ma condition sociale, parce que je suis occupé à gagner ma vie pendant pratiquement
douze heures par jour, je ne pourrais écrire bien autre chose : je dispose d'environ vingt minutes, le soir, avant d'être envahi par le sommeil.
Au reste, en aurais-je le temps, il me semble que je n'aurais plus le goût de travailler beaucoup et à plu sieurs reprises sur le même sujet. Ce qui m'importe, c'est de saisir
presque chaque soir un nouvel objet, d'en tirer à la fois une jouissance et une leçon; je m'y instruis et m'en amuse, enfin : à ma façon.
Je suis bien content lorsqu'un ami me dit qu'il aime un de ces écrits. Mais moi je trouve que ce sont de bien petites choses. Mon ambition était différente.
Pendant des années, alors que je disposais de tout mon temps, je me suis posé les questions les plus difficiles, j'ai inventé toutes les raisons de ne pas écrire. La preuve
que je n'ai pourtant pas perdu mon temps, c'est justement ce fait que l'on puisse aimer quelquefois ces petites choses que j'écris maintenant sans forcer mon talent, et même avec
facilité.
Francis Ponge
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