Les Réverbères

I
Les réverbères un à un vont s’allumant,

Comme les étoiles

Ou des cires autour d’un poêle.
Et la ville s’endort pensivement…

Plus une cloche ne tinte ;

Toutes les lampes sont éteintes ;

Elles, elles étaient les sœurs des réverbères,

Sœurs heureuses, que du tulle ornemente !

Eux sont leurs tristes frères

Pour qui la Destinée a été inclémente.
Ils ne se montrent qu’à la nuit ;

Ils sont toujours grelottants ;

Ils doivent subir tous les temps,

Le vent, la pluie ;

Ils sont toujours sans gîte,

Regardant les maisons où les lampes habitent ;

Eux sont des pauvres…
Ils sont toujours transis ;

Qu’est-ce qu’ils attendent ainsi ?

Et c’est vers où que dans l’aube ils se sauvent ?
II
Les réverbères des banlieues

S’en vont durant des lieues.
S’en vont comme un cortège, au loin, de pénitents,

Le dimanche, en semaine, et par tous les temps ;
L’un est debout ; un autre, il semble, s’agenouille ;

Et chacun se sent seul comme dans une foule.
Par les chemins que la pluie détrempe

Ils allongent des rampes.
Des rampes de clarté par où monte le Rêve !

Et on voit remuer leurs feux comme des lèvres.
Les réverbères des banlieues

Effeuillent leurs lumières bleues.
C’est le vent qui effeuille à terre leur lumière,

Lumière éclose en une serre.
Petite serre, à quatre vitres, des lanternes

Où le bouton avec la fleur ouverte alterne,
Selon le caprice du vent,

Écrasant la flamme ou la relevant.
Les réverbères des banlieues

Sont des cages où des oiseaux déplient leurs queues.
Pauvres oiseaux réfugiés

Qui ont souffert d’être mouillés.
Ils ont eu peur des horizons

Et regardent la vie à travers des cloisons.
Oiseaux trop frêles qui préfèrent

Vivre captifs dans du verre.
Ils savent la fragilité de leur vol d’or !

Le vent les tord…
Ils n’ont pas longtemps résisté

Et meurent longuement en spasmes de clarté.
Les réverbères des banlieues

Bientôt sont des lumières feues.
III
Un triste réverbère

Dans le soir s’exaspère

À regarder son ombre.

Se peut-il qu’il corresponde

À ce dessin transi

Qui dort à terre comme dans un miroir,

Et qu’il soit lui aussi

Cette figure linéaire et tout en noir ?
Le papillon jaune qu’il est

N’est plus sur le sol

Que le deuil d’un vol.

Il regarde tout son reflet

Qui se délimite en contours de ténèbres ;

Ah ! cet afflux de présages funèbres !
Soudain le réverbère

Voit l’ombre de sa boîte en verre

Former, avec ses quatre pans,

Comme un petit cercueil à terre,

Qui attend ;

Et le réverbère a peur qu’on emporte,

Dedans, sa flamme morte !
IV
Dans le soir, au bord de l’eau,

S’allument les lanternes ;

Leur mirage dans l’eau se cerne

D’un tremblotant halo.
L’eau, dirait-on, se zèbre

De ces clartés qui alternent

Avec les ténèbres.
Les réverbères à la file

Se prolongent, intermittents ;

On dirait des pénitents

Avec leur gourde de lumière.
La nuit de l’eau serait plénière

Sans les réverbères du bord

Qui la faufilent

De leurs points d’or !
V
La Nuit est seule, comme un pauvre.

Les réverbères offrent

Leur flamme jaune

Comme une aumône.
La Nuit se tait comme une église close.

Les réverbères mélancoliques

Ouvrent leur flamme rose

Comme des bouquets de lumière,

Des bouquets sous un verre et qui sont des reliques,

Par qui la Nuit s’emplit d’Indulgences plénières.
La Nuit souffre !

Les réverbères en chœur

Dardent leur flamme rouge et soufre

Comme des ex-votos,

Comme des Sacré-Cœur,

Que le vent fait saigner avec ses froids couteaux.
La Nuit s’exalte.

Les réverbères à la file

Déploient leur flamme bleue,

Dans les banlieues,

Comme des âmes qui font halte,

Les âmes en chemin des morts de la journée

Qui rêvent de rentrer dans leur maison fermée

Et s’attardent longtemps aux portes de la ville.
VI
La Nuit s’acharne au réverbère qui la nie.
Tout s’endort ; seul son feu,

Obstiné comme l’insomnie,

S’attarde, avec son pouls fiévreux,

Ce battement de flamme chaude

Et comme artériel

Qui continuera jusqu’à l’aube.
Le réverbère est seul sous le grand ciel.
Et il voit que, là-bas,

D’autres feux tremblent,

Étoiles qui jamais ne se rassemblent,

Seules comme lui

Dans un éternel célibat.
Ô étoiles, ses sœurs, qu’il nomme dans la nuit !

Un même mal les agite ;

Elles sont si tristes ;

Elles ont le même sort,

Le même tremblement de fanaux dans un port

À des vaisseaux qui jamais ne partent ;

Elles ont la même palpitation,

Les mêmes pulsations,

Comme si un seul cœur, elles et lui, les faisait battre.
Le réverbère songe : « Elles sont comme lui ;

Il est comme elles ;

Solitude ! Et n’avoir à vivre que la nuit ! »
Ah ! s’éteindre, s’éteindre en une Aube éternelle !
VII
Les réverbères en enfilade

Ont allumé leurs pensives veilleuses

Quotidiennes,

Formant un jeu d’ombres silencieuses

Qui vont et viennent…
La Ville est-elle plus malade

Ce soir ?
On dirait qu’il fait plus noir ;

Le vent a l’air de plaindre

Quelqu’un qui ne guérira plus ;

Une petite cloche tinte

Le dernier angélus ;

L’air est sonore à cause du silence ;

Les peupliers, dont la cime s’élance,

Ont peur de faire trop de bruit ;

Et les passants embrument leur marche

Comme dans une chambre, autour d’un lit…
L’eau chuchote plus bas sous l’unique arche

Des vieux ponts ;

On dirait qu’elle prie avec des soupirs ;

Mais à quoi bon ?
Sans doute que la Ville empire

Ce soir ?
Les veilleuses des réverbères

À peine encore un peu espèrent ;

Elles sont comme des yeux,

Comme des feux dévotieux,

Yeux et feux illusoires.
Ô réverbères ! Ils s’alarment

Et sentent la mort en chemin ;

Ils ont quelque chose d’humain,

Ils tremblent et semblent pâlir

Comme si dans leur flamme il y avait des larmes !

Qu’est-ce qui va mourir ?

Un cygne averti chante sur l’eau noire…
Il se peut que la Ville meure

Ce soir…
Les réverbères pleurent !

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Les Réverbères
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