LXI.
La vie par l’effet s’estime, et non par l’âge,
L’œuvre et non la durée en fait le jugement :
Prou vit qui a vécu jusqu’à ce qu’il soit sage,
Le bien vivre s’altère en vivant longuement.
LXII.
Les Actes longs ne font bonne le Comédie,
Il la faut estimer selon qu’ils sont joués :
Par les ans on ne doit considérer la vie,
Les actes qu’elle fait sont seulement joués.
LXIII.
Qui pour n’avoir vécu cent ans avant que naître,
Se plaint entre les sots, il tient les premiers rangs,
Mais plus sot est celui qui s’afflige pour être
Assuré de ne vivre au monde après cent ans.
LXIV.
L’homme n’est pas heureux pour long temps vivre au monde,
La quantité de jours n’apporte pas plus d’heur :
La grandeur ne fait pas une Sphère plus ronde,
Et le cercle petit n’a pas moins de rondeur.
XLV.
Que si la mort t’attend et ton séjour prolonge,
Par forme d’intérêt elle te fait sentir
Des tourments en effet, de l’allégresse en songe,
Et qu’une longue vie est un long repentir.
LXVI.
Si celui qui t’a mis du monde en la carrière
Te paye ta journée à midi tout autant,
Qu’un autre qui l’achève et la fait toute entière,
Pourquoi murmures-tu ? pourquoi n’es-tu content?
LXVII.
Il conduit bien son œuvre et connoit tes caprices,
Il sait bien qu’à regret tu tiens bon jusqu’au bout :
Avant qu’en être là il veut que tu finisses,
Te laissant plus longtemps tu pourrais gâter tout.
LXVIII.
Comme il ordonne l’œuvre il veut qu’on la lui rende,
Qui ne sert volontiers indignement le sert :
Sortir de la besogne avant qu’il le commande,
Est un crime, et celui qui la quitte la perd.
LXIX.
Ou premiers, ou derniers, à tous la piste est faite,
Ou tôt, ou tard il faut qu’on se rende à ce port :
Qui commande la charge, ordonne la retraite,
La loi qui fit la Vie a fait aussi la Mort.
LXX.
Tant plus dure ton corps, tant plus ton âme endure,
Et ne peut assez tôt d’un tel logis sortir ?
Elle y vient toute pure, elle y vit toute impure,
Et souffre mille ennuis avant que d’en partir.
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