Adrastée

(Ces ïambes ont été écrits après l’insurrection de Juin 1848, Dans la colère de la défaite et le fol espoir d’une revanche. S’ils étaient restés inédits, je les aurais détruits après l’amnistie, car ce mot implique l’oubli réciproque. Mais Karl Marx, à qui je les avais lus en exil, les a envoyés au poète allemand Freiligrath qui les a publiés ; ils doivent donc figurer dans une édition complète. C’est une page d’histoire, qui expliquera l’hostilité du peuple contre les classes dirigeantes et son inertie devant le coup d’Etat. Dellotte m’a dit qu’il avait inutilement essayé de soulever le faubourg Saint-Antoine : « On fait des barricades sur les grands boulevards, la troupe bombarde les hôtels ». Les ouvriers répondaient : « La bourgeoisie aura donc aussi ses journées de Juin ».)
Si l’aveugle hasard me donnait la puissance

Pour un jour, je voudrais tenir

Le glaive justicier de la sainte vengeance

Et le droit sacré de punir.
J’irais sur le cadavre épeler les tortures :

Au jour de l’expiation

Œil pour œil, dent pour dent, blessure pour blessure

L’antique loi du talion.
Et je voudrais aussi, secouant la poussière

Des siècles dans l’oubli plongés

Évoquer leur douleur muette et satisfaire

Tous les morts qu’on n’a pas vengés,
Car l’expiation est chose grande et sainte

Et corne un reproche éternel,

Les douleurs sans vengeance élèvent une plainte

Qui monte de la terre au ciel.
Et de peur qu’il fût dit que cette loi suprême

Put être oubliée une fois,

Pour absoudre le ciel, l’homme a cru que Dieu même

Dût s’immoler sur une croix.
La revanche viendra : le Jour inévitable

Des Justes expiations

Luira pour balayer une race coupable

Au vent des révolutions ;
Alors on nous dira : « La vengeance est impie,

Il faut pardonner, non punir ».

Et quand le sang versé veut du sang qui l’expie

On parlera de repentir.
Pas de grâce. Pensons à la mort de nos frères,

A tant de maux inexpiés,

Et que leur souvenir en profondes colères

Transforme les lâches pitiés ;
Pensons aux jours de sang, de pillage et de ruine,

Ou dans nos faubourg bombardés

Le canon répondait aux cris de la famine,

A nos murs de sang inondés
Le viol impur souillait les vierges sur les places,

Les morts s’entassaient par milliers

Et quand les massacreurs, dont les mains étaient lasses,

Eurent tué trois Jours entiers,
Vous couronniez leurs fronts et vos femmes si fières

Bâtaient des mains, et croyant voir

Ces cosaques maudits, chers jadis à leurs mères,

Agitaient vers eux le mouchoir.
Et puis le lendemain de la victoire impie

L’insulte et la délation,

Après l’assassinat, la lâche calomnie,

L’implacable proscription.
Corne ils ont bien d’avance absous nos représailles

Quand nos bras seront déchaînés,

Pensons aux morts : il faut de grandes funérailles

A nos frères assassinés.
Ce sera votre tour, pas de pardon, nos maîtres,

Nos représentants, nos élus,

Vil troupeau d’assassins, de lâches et de traîtres

A genoux, malheur aux vaincus !
Le jour de la justice est venu : pas de grâce,

Ni prières, ni repentirs

Ne vous empêcheront de baiser chaque place

Où coula le sang des martyrs.
Toi, l’aveugle instrument de leur froide colère,

Vis, d’exécration chargé.

Pourvu qu’à ton chevet le spectre de ton frère

Se lève, le peuple est vengé.
Vous serfs de tout pouvoir, automates stupides,

Bourreaux au meurtre condamnés

Qui tournez sans remords vos armes parricides

Contre vos frères enchaînés,
Et vous vils trafiquants, race basse et rampante.

Qui dans ces jours maudits alliez

Soûlant d’or et de vin la horde rugissante

Des égorgeurs stipendiés,
Loin d’ici ! vous souillez l’air pur de la patrie.

Déjà terrible et menaçant.

Le peuple est là qui veille : oh fuyez, qu’il oublie

Que le sang seul lave le sang.
—————————————-
Voici le texte de ces Iambes, légèrement différent de celui d’Adrastée, paru dans le Neue rheinische Zeitung de 1850.
Quand le jour espéré, le jour inévitable

Des justes expiations

Viendra pour balayer une race coupable

Au vent des révolutions ;
Alors, tous les pleureurs qui parlent de clémence.

Ceux à qui le bourreau fait peur,

Ceux pour qui la justice est colère et vengeance,

Le crime faiblesse et malheur.
Reviendront nous crier que la peine est impie,

qu’il faut pardonner, non punir.

Et, quand le sang versé veut du sang qui l’expie,

on parlera de repentir.
Déesse qu’invoquaient les siècles forts et rudes,

Par qui tout meurtre était vengé,

O Sainte Némésis, vois nos décrépitudes,

Ton glaive en férule est changé.
Philosophes profonds, déclamateurs sublimes

Qui jetez un regard d’amour

Sur l’assassin maudit, que le sang des victimes

Sur vous retombe aux derniers jours.
Pas de grâce, pensons à la mort de nos frères,

A tant de maux inexpiés,

Et que leur souvenir en profonde colère

Transforme les lâches pitiés
Pensons aux jours de sang, de pillage et de ruine

Où dans nos faubourgs bombardés

Le canon répondait aux cris de la famine

A nos murs de sang inondés.
Au viol impur, souillant la vierge à l’agonie

Qui lutte et maudit sa beauté.

Quand sur les corps sanglants aux râlements unie

Hurle l’immonde volupté ;
Aux vaincus désarmés dont la foule sanglante

Sous le feu se crispe et se tord ;

Le sang ruisselle a flots sur la chair pantelante.

Cris de meurtre et plainte de mort !
Aux applaudissements des femmes, sur les places.

Les corps tombèrent par milliers.

Et quand les massacreurs dont les mains étaient lasses

Eurent tué trois jours entiers.
Vous couronniez leur fronts, et vos femmes si flores

Battaient des mains et croyant voir

Ces cosaques sanglants, chers jadis à leurs mères

Agitaient vers eux leur mouchoir.
Et puis le lendemain de la victoire impie,

La hideuse délation.

Après l’assassinat, la froide calomnie,

L’implacable proscription ;
Puis les cachots sans air, dont les voûtes obscures

Des mourants étouffaient les cris

Où les bourreaux rouvraient les récentes blessures

Et broyaient les membres meurtriers.
Oh qu’ils ont bien d’avance absous nos représailles !

Quand nos bras seront déchaînés.

Pensons aux morts : il faut de grandes funérailles

A nos frères assassinés.
A notre tour enfin I à vous d’abord, nos maîtres,

Nos représentants, nos élus.

Vil troupeau d’assassins, de lâches et de traîtres,

A genoux ! malheur aux vaincus !
Le jour de la justice est venu, pas de grâce,

Ni prières ni repentirs

Ne vous empocheront de baiser chaque place

Où coula le sang des martyrs.
Toi, l’aveugle Instrument de leur froide colère.

Vis, d’exécration chargé ;

Pourvu qu’à ton chevet le spectre de ton frère

Se lève, le Peuple est vengé.
Vous qui nés dans nos rangs avez trahi vos frères,

des Peuples éternels fléaux.

Du pouvoir qui vous paie implacables sicaires,

Esclaves, valets de bourreaux.
Et vous, vils trafiquants, race basse et rampante,

Qui, dans ces jours maudits, alliez

Soûlant d’or et de vin la horde rugissante

Des égorgeurs stipendiés.
Loin d’ici, vous souillez l’air pur de la patrie !

Déjà, terrible et menaçant

Le Peuple est la qui veille ; oh fuyez, qu’il oublie

Que le sang seul lave le sang.
Pour moi, si j’ai rêvé le sceptre et la puissance.

C’est pour le bonheur de tenir

L’impassible couteau de la sainte vengeance,

Et le droit sacré de punir.
Mais au crime partout j’égalerais la peine ;

Le crime est prompt, le remords lent.

Et souvent l’assassin ronge et brise sa chaîne

Pendant que la victime attend.
J’irais sur le cadavre épeler les tortures :

Au jour de l’expiation.

Œil pour œil, dent pour dent, blessure pour blessure.

L’antique loi du talion.
Et je voudrais aussi secouant la poussière

Des siècles dans l’oubli plongés.

Évoquer leur douleur muette, et satisfaire

Tous les morts qu’on n’a pas vengés.
Car l’expiation est chose grande et sainte,

Et comme un reproche éternel

Les douleurs sans vengeance élèvent une plainte

Qui monte de la terre au ciel.
Et de peur qu’il fut dit que cette loi suprême

Put être oubliée une fois,

Pour absoudre le ciel, l’homme a cru que Dieu-même

Dut expirer sur une croix.

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Adrastée
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