L’Amour de Médée

À M. de Maintenon
Comme Medee en sa jeunesse prime,

D’Angennes, sent du nouveau Cupidon,

Premierement la fleche et le brandon :

Je te complais, encores que bien rare

Je prenne en main cette mode barbare,

Me plaisant plus aux nombreuses chansons

Des vieux Gregeois, qu’aux modernes façons.

Telle qu’elle est, puis que l’as demandee,

Te vienne à gré cette ardente Medee,

Qui se va pleindre en ce vers rechanté

Apres le chant qu’Ovide en a chanté.

Jazon déja dans le palais d’Aëte

Du Mouton d’or la demande avoit faitte,

Et le labeur luy estoit commandé

Pour conquerir le joyau demandé.

Du Roy Colchois en ce pendant l’infante

Couvoit au cœur une ardeur violante :

Apres avoir ores bien debatu

Pour son desir, ores pour la vertu,

Quand elle voit qu’avecques la sagesse

De la fureur ne peut estre maitresse,

Medee dit, Tu debas vainement,

Ne sçay quel Dieu te donne empeschement :

Je m’emerveille, helas ! que ce peut estre :

Je sen le mal, et ne le puis conoistre :

Seroit-ce point ce qu’on appelle Aimer ?

Car doù me vient que j’entrepren blasmer

Du Roy mon pere, ainsi que trop cruelle

La volonté ? vraiment aussi est-elle

Par trop cruelle : et comment puis-je avoir

Crainte pour un qu’ores je vien de voir

Le premier coup ? et si crain qu’il ne meure ?

Qui peut causer si grand’ crainte sur l’heure ?

Chasse, Medee, hors de ton chaste cœur

Le feu conçu : racle ceste fureur,

(Si tu le peux) de ton lasche courage.

Si je pouvoy, je seroy bien plus sage,

Mais je me sen d’un violent émoy

Toute enlever et tirer maugré moy.

Amour de l’un, la raison me conseille

Soudain de l’autre, ô peine non-pareille !

J’aprouve et voy ce qui est pour le mieux,

Je suy le pis : ô desir vicieux !

Pourquoy bruslant, pauvre fille Royale,

Vas-tu donner ton amour desloyale

À l’étranger ? Comment desires-tu

D’un autre monde un mary non connu ?

Tu trouveras en ce pais où mettre

Ton amitié : les Dieux peuvent permettre

Qu’il vive ou meure : Il vive toutesfois !

Le souhaitter je le puis et le dois,

Sans que mon cœur son amour en luy mette :

Et quelle faute a jamais Jazon faite ?

Qui, s’il n’estoit trop cruel sans raison,

N’attendriroit pour l’âge de Jazon,

Pour sa noblesse et sa vertu ? le reste

N’y estant point, qui sa beauté celeste

N’émouveroit ? Certes elle a pouvoir

Dans l’estomac de mon cœur émouvoir.

Mais si je faux de luy prester mon ayde,

Je le verray mourir sans nul remede :

Ou des Taureaux le feu l’enflamera :

Ou la moisson cruelle le tu’ra

Par l’ennemy engendré de la terre,

Jettant sur luy tout le flot de la guerre :

Ou bien sera fait le repas piteux

Du goulu ventre au dragon impiteux.

Si devant moy ce massacre j’endure,

Faut confesser qu’en ma poitrine dure

Je porte un cœur de rocher et d’acier,

Et que je suis fille d’un Tigre fier.

Pourquoy mourir donc ne le regardé-je ?

Pourquoy mes yeux de sa mort ne soulé-je ?

Et que ne vâ-je eguillonner les bœufs

À renflammer encontre luy leurs feux ?

Et que ne vâ-je encourager l’armee

Des fiers geans contre luy animee ?

Et que ne vâ-je enhorter le dragon

Tousjours veillant, pour devorer Jazon ?

Que Dieu luy doint bien meilleure aventure !

Ce n’est pas tout d’une volonté pure

Luy souhaitter du bien : mais or endroit

Luy pourchasser par effet il faudroit.

Quoy ? de mon pere iray-je, déloyalle,

Ainsi trahir la couronne Royalle ?

Et ne sçay quel etranger avolé

De mon secours se verra consolé ?

À fin qu’étant par moy sauf, il deploye

La voile au vent, et qu’un autre en ait joye

En l’épousant ? et que Medee icy

Porte la peine, helas ! de tout cecy ?

S’il pouvoit bien un si grand tort me faire,

Qu’en prendre un autre à mon desir contraire,

Qu’il meure ingrat : Mais la beauté qu’il a,

Et son gent cœur ne me promet cela.

Son œil defend que j’aye deffiance

Qu’il me deçoive, ou mette en oubliance

Mon grand merite : et puis il jurera,

Et me jurant les Dieux attestera

Ains que rien faire : étant bien assuree

Que craindras-tu ? tu as sa foy juree.

Depesche donc et franchy tout arrest.

À tout jamais Jazon redevable est

En ton endroit de sa propre personne

Et de sa vie : à toy seul il se donne :

Te prend à femme : et solennellement

Est ton époux : perpetuellement

Tu acquerras titre de sauveresse :

Et bien veignee en tresgrande allegresse

Tu te verras, des meres qui sçauront

Que leurs enfans de toy leur vie auront.

Donc par les vens hors d’icy emportee

Bien loin sur mer, dans la Grece jettee,

Je quitteray sœur, frere, pere, et Dieux,

Et mon païs ? Ce sont barbares lieux :

Mon pere est rude, et mon frere en bas âge,

Et ma sœur est tout d’un mesme courage

Avecques moy : et puis un Dieu tresgrand

Regne en mon cœur, qui ce fait entreprend :

Ce que je cherche est grand : ce que je quitte

N’est pas fort grand : ce n’est gloire petite

Que de sauver de la Grece la fleur.

Et ce n’est peu voir un païs meilleur,

Mieux cultivé, et ces illustres villes

Dont on nous parle, ars et façons civilles,

Et ce Jazon, pour qui (tant il m’est chier)

Je quitteroy le monde tout entier.

L’ayant mary, bien heureuse estimee

Seray de tous, et des Dieux bien-aimee

Et des humains. Quand sa femme seray

Du haut du chef les cieux je toucheray.

Mais quoy ? lon voit sur les profondes vagues

S’entreheurter deux hautes roches vagues :

Une Charybde ennemie des naus

Tantost humer, tantost vomir les flots :

Mesme une Scylle aux eaux Siciliénes

Aspre glappir entouree de chienes

Fieres à voir : je n’auray point de peur

Si une fois ie puis avoir tant d’heur

Que de tenir d’une douce embrassee

Ce qu’aime tant : si de peur suis pressee,

Si j’ay frayeur, seulement ce sera

Pour mon Jazon, qui lors m’embrassera.

Quoy ? Penses-tu que ce fait mariage ?

À ton forfait, ô Medee mal sage

(Pour le masquer) tu donnes un beau nom.

Regarde, voy quelle grande traison

Tu entreprens : regarde, considere

Le grand forfait, et ta proche misere,

Si tu le fais : paravant qu’il soit fait,

Si tu le peux, garde toy du forfait.

Elle avoit dit : Droitture et reverance

Devant ses yeux renforçoit la constance

Du cœur brulant : devant son bon propos

Amour vaincu déja tournoit le dos.

Elle s’en va de ses passions vuide

Au vieil autel d’Hecate Perseïde,

Qu’un bois ombreux et segret encouvroit :

Déja l’ardeur plus ne se decouvroit,

Ains au dedans sous la honteuse crainte

Estoit cachee et comme toute éteinte.

Mais aussi tost que Jazon elle vit,

La flamme morte incontinent revit :

Une rougeur ses deux joues va prendre,

Et par sa face un grand feu se repandre,

Et comme on voit par le souffle du vent

Une bluette assoupie davant

Dessous la cendre au dessus étendue,

Se rallumer par la paille épendue,

Et s’augmenter prenant nourrissement

Et se remettre, à force du tourment,

En moins de rien, en sa vigueur premiere :

Ainsi l’Amour qui t’eust semblé n’aguiere

Déja languir, déja tout adoucy,

Voyant Jazon, par un ardent soucy

De sa beauté qu’elle voit en presence,

Plus violent que devant recommence :

Et de hazart ce jour le jouvenceau

Se montroit plus que de coustume, beau :

Si qu’aisément l’affection renée

Pour sa beauté, luy eusses pardonnee.

Le regardant, comme s’elle venoit

Lors de le voir premierement, tenoit

Ses yeux fichez tousjours en son visage,

Ne pensant voir (la pauvrette mal-sage)

Face mortelle : et tant luy plaist à voir,

Ne peut de luy son regard demouvoir.

Incontinent que l’etranger commance

D’ouvrir la bouche, et tout privé s’avance

Jusqu’à la prendre et tenir par la main,

Et la requiert que d’un courage humain

(Parlant tout bas) au besoin le sequeure,

Et luy promet mariage : sur l’heure

Medee dit, respandant larmes d’yeux :

Je voy mon fait : l’ignorance de mieux

Ne me seduit, c’est Amour qui me meine,

Par mon moyen mis seras hors de peine.

Quand tu seras dehors de peine mis,

Fay d’accomplir ce que tu m’as promis.

Jazon adonc promtement affermante,

En attestant la deité presente

Dans ce lieu saint : Par le pere jurant,

De son beau pere : et sa foy rassurant

Par luy qui sçait toute son entreprise,

Et son issue, et l’amitié promise,

Et les hazars ausquels il se mettoit :

Luy estant creu de ce qu’il promettoit,

D’elle reçoit les herbes enchantees,

Et d’elle entend les façons usitees

Pour s’en aider : puis joyeux departant

En son logis s’en retourne contant.

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