Prière de Théophile aux poètes de ce temps

Vous à qui de fraîches vallées

Pour moi si durement gelée

Ouvrent leurs fontaines de vers,

Vous qui pouvez mettre en peinture

Le grand objet de l’univers

Et tous les traits de la nature,
Beaux esprits si chers à la gloire,

Et sans qui l’oeil de la mémoire

Ne saurait rien trouver de beau,

Ecoutez la voix d’un poète

Que les alarmes du tombeau

Rendent à chaque fois muette.
Vous savez qu’une injuste race

Maintenant fait de ma disgrâce

Le jouet d’un zèle trompeur,

Et que leurs perfides menées,

Dont les plus résolus ont peur,

Tiennent mes Muses enchaînées.
S’il arrive que mon naufrage

Soit la fin de ce grand orage

Dont je vois mes jours menacés,

Je vous conjure, ô troupe sainte,

Par tout l’honneur des trépassés,

De vouloir achever ma plainte.
Gardez bien que la calomnie

Ne laisse de l’ignominie

Aux tourments qu’elle m’a jurés,

Et que le brasier qu’elle allume,

Si mes os en sont dévorés,

Ne brûle pas aussi ma plume.
Contre tous les esprits de verre

Autrefois j’avais un tonnerre,

Mais le temps flatte leur courroux,

Tout me quitte, la Muse est prise,

Et le bruit de tant de verrous

Me choque la voix, et la brise.
Que si cette race ennemie

Me laisse après tant d’infamie

Dans les termes de me venger,

N’attendez point que je me venge:

Au lieu du soin de l’outrager

J’aurai soin de votre louange.
Car s’il faut que mes forces luttent

Contre ceux qui me persécutent,

De quelle terre des humains

Ne sont leurs ligues emparées?

Il faudrait contr’eux plus de mains

Que n’en auraient cent Briarées.
Ma pauvre âme toute abattue

Dans ce long ennui qui me tue

N’a plus de désirs violents;

Mon courage et mon assurance

Me font de vigoureux élans

Du côté de mon espérance.
Ici pour dénouer la chaîne

Qui me tient tout prêt à la gêne,

Mon esprit n’applique ses soins

Et ne réserve sa puissance

Qu’à rembarrer les faux témoins

Qui combattront mon innocence.
Déjà depuis six mois je songe

De quel si dangereux mensonge

Ils m’auront tendu le lien,

Et de quel si souple artifice

Leur esprit plus fort que le mien

Me convaincra de maléfice.
On voit assez que mes parties,

Bien soigneusement averties

De mes plus criminels secrets,

N’ont recours qu’à la tromperie,

Et que mes juges sont discrets

De ne point punir leur furie.
Mais ainsi qu’à fouler leur haine

Les juges ont des pieds de laine,

Je vois que ces esprits humains

Laissent longtemps gronder l’envie

Sans mettre leurs pesantes mains

Dessus mon innocente vie.
Et cependant ma patience,

A qui leur bonne conscience

Promet un jour ma liberté,

S’exerce à chercher une rime

Qui persuade à leur bonté

Qu’on me pardonnera sans crime.
Ma Muse faible et sans haleine,

Ouvrant sa malheureuse veine

A recours à votre pitié:

Ne mordez point sur son ouvrage,

Car ici votre inimitié

Démentirait votre courage.
Je ne fus jamais si superbe

Que d’ôter aux vers de MALHERBE

Le français qu’ils nous ont appris,

Et sans malice et sans envie

J’ai toujours lu dans ses écrits

L’immortalité de sa vie.
Plût au ciel que sa renommée

Fût aussi chèrement aimée

De mon Prince qu’elle est de moi,

Son destin loin de la commune

Serait toujours avec le Roi

Dedans le char de la Fortune.
Une autre veine violente,

Toujours chaude et toujours sanglante

Des combats de guerre et d’amour,

A tant d’éclats sur les théâtres

Qu’en dépit des frelons de Cour

Elle a fait mes sens idolâtres:
HARDY, dont le plus grand volume

N’a jamais su tarir la plume,

Pousse un torrent de tant de vers

Qu’on dirait que l’eau d’Hippocrène

Ne tient tous ses vaisseaux ouverts

Qu’alors qu’il y remplit sa veine.
PORCHERES avec tant de flamme

Pousse les mouvements de l’âme

Vers la route des immortels

Qu’il laisse partout des matières

Où ses vers trouvent des autels

Et les autres des cimetières.
Encore n’ai-je point l’audace

De fouler leur première trace.

BOISROBERT en peut amener

Après ses pas toute une presse

Qui mieux que moi peuvent donner

Des louanges à sa princesse.
SAINT-AMANT sait polir la rime

Avec une si douce lime

Que son luth n’est pas mignard,

Ni GOMBAUD dans une élégie,

Ni l’épigramme de MAYNARD

Qui semble avoir de la magie.
Et vous, mille ou plus que j’adore,

Que mon dessein veut joindre encore

A ces génies vigoureux

De qui je tache ici la gloire

Parce que le sort malheureux

Les a fait choir à ma mémoire.
Voyant mes Muses étourdies

Des frayeurs et des maladies

Qui me prennent à tous moments,

Faites-leur un peu de caresse

Et leur rendez les compliments

De celui qui vous les adresse.

Évaluations et critiques :

Prière de Théophile aux poètes de ce temps
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.singularReviewCountLabel }}
{{ reviewsTotal }}{{ options.labels.pluralReviewCountLabel }}
{{ options.labels.newReviewButton }}
{{ userData.canReview.message }}

Partagez votre poésie avec le monde! Quelle est votre opinion sur ce poème?

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x