Suivi du Suicide impie,

A travers les pâles cités,

Le Malheur rôde, il nous épie,

Prés de nos seuils épouvantés.

Alors il demande sa proie ;

La jeunesse, au sein de la joie,

L’entend, soupire et se flétrit ;

Comme au temps où la feuille tombe,

Le vieillard descend dans la tombe,

Privé du feu qui le nourrit.
Où fuir ? Sur le seuil de ma porte

Le Malheur, un jour, s’est assis ;

Et depuis ce jour je l’emporte

A travers mes jours obscurcis.

Au soleil et dans les ténèbres,

En tous lieux ses ailes funèbres

Me couvrent comme un noir manteau ;

De mes douleurs ses bras avides

M’enlacent ; et ses mains livides

Sur mon cœur tiennent le couteau.
J’ai jeté ma vie aux délices,

Je souris à la volupté ;

Et les insensés, mes complices

Admirent ma félicité.

Moi-même, crédule à ma joie,

J’enivre mon cœur, je me noie

Aux torrents d’un riant orgueil ;

Mais le Malheur devant ma face

A passé : le rire s’efface,

Et mon front a repris son deuil.
En vain je redemande aux fêtes

Leurs premiers éblouissements,

De mon cœur les molles défaites

Et les vagues enchantements :

Le spectre se mêle à la danse ;

Retombant avec la cadence,

Il tache le sol de ses pleurs,

Et de mes yeux trompant l’attente,

Passe sa tête dégoûtante

Parmi des fronts ornés de fleurs.
Il me parle dans le silence,

Et mes nuits entendent sa voix ;

Dans les arbres il se balance

Quand je cherche la paix des bois.

Près de mon oreille il soupire;

On dirait qu’un mortel expire :

Mon cœur se serre épouvanté.

Vers les astres mon oeil se lève,

Mais il y voit pendre le glaive

De l’antique fatalité.
Sur mes mains ma tête penchée

Croit trouver l’innocent sommeil.

Mais, hélas ! elle m’est cachée,

Sa fleur au calice vermeil.

Pour toujours elle m’est ravie,

La douce absence de la vie ;

Ce bain qui rafraîchit les jours ;

Cette mort de l’âme affligée,

Chaque nuit à tous partagée,

Le sommeil m’a fui pour toujours
Ah ! puisqu’une éternelle veille

Brûle mes yeux toujours ouverts,

Viens, ô Gloire ! ai-je dit ; réveille

Ma sombre vie au bruit des vers.

Fais qu’au moins mon pied périssable

Laisse une empreinte sur le sable.

La Gloire a dit : « Fils de douleur,

« Où veux-tu que je te conduise ?

« Tremble ; si je t’immortalise,

« J’immortalise le Malheur. »
Malheur ! oh ! quel jour favorable

De ta rage sera vainqueur ?

Quelle main forte et secourable

Pourra t’arracher de mon cœur,

Et dans cette fournaise ardente,

Pour moi noblement imprudente,

N’hésitant pas à se plonger,

Osera chercher dans la flamme,

Avec force y saisir mon âme,

Et l’emporter loin du danger ?
Écrit en 1820.

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Le Malheur
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