Et c’est seulement au chevet des mères mourantes
Que les fils des hommes accèdent à la connaissance
Car il faut les ténèbres à l’illumination du cierge.
O mort si lente à venir sur les lèvres exsangues
Quand le goutte-à-goutte du sérum scande les heures
Dans les veines vitreuses et transparentes
Quand Octobre sur la clinique lève un pâle soleil
Quand l’infirmier cynique tâte la paupière bleuie
Où l’œil maternel aveugle fixe la mort insolente
Alors que les fils entourent le corps flétri.
O mort si lente à venir, trois jours et trois nuits
Dans le blême bousculement des temps
Si lente dans les poumons où sifflent
Les oiseaux noirs des tombes impatientes
Quand l’écume des verts crachats étouffe
Le corps maternel râlant luttant souffrant
O mort si lente à venir sur la face sainte
Qui tend ses joues aux mains filiales effrayées
Face sainte brûlante pitoyable et maternelle
Fixant déjà le brasier de l’éternelle tendresse
Où se consument les âmes selon la promesse de l’Esprit
O mort si lente à venir parmi les vieilles Dames
Asthmatiques apoplectiques cachexiques
Dans l’odeur odieuse de l’éther et des soupes
Tandis que sonnent les carillons vulgaires
Des batteries de cuisine et que les coqs fiers
Annoncent le reniement de la chair
Sur les fumiers campagnards
Et le corps des mères crie de s’arracher
Aux enfants de la terre
Marguerite David ma mère royalement nommée
Fût en la paroisse de Ploudiry
Sur le chemin des grandes fermes parentales
Joyeusement couronnée de genêts et de lilas
Et les agapes au Kerhuella avaient goût de chevreuil
Sous le tiède vent rural des hautes cheminées
Et l’homme du Bréou son père lui avait donné rêve et bonté
Et telle est ma genèse au pays des collines
Et telle est mon ascendance parmi les troncs et les feuilles
O mort si lente à venir sur les lèvres exsangues
Alors que de la jeune fille d’antan avait surgi dix fois la vie
De sa bouche humiliée ne sort nulle parole
O mort si lente à venir, trois jours et trois nuits
Mort à pas de louve aux gencives malades
Marchant dans les allées des reines et des châtelaines
C’est que les bois Mesdames cèlent les chiens meurtriers
Et la mort à gueule d’hiver va tuer tous vos printemps
Et la douleur atroce cogne dans les bronches déchirées
Mère aveugle voici vos fils enfin lucides et voyants
A l’heure même où votre trépas dans l’absence les plonge
Mère enfin aimée exactement au temps exact de la rupture
Alors que le fossoyeur inspecte le caveau abject
Sous la torche lancinante du buis
O sépultures, mangeuses des corps des clans et des siècles
Et le cœur de Marguerite David craque et cède à la mort lente
Son âme déjà voyage en quête des grands pays
Et les fils sédentaires, la peine pressant leurs dents
Regardent le souffle doucement s’éteindre sur les lèvres blanches
Et la dernière larme sur la ride maternelle
Lentement glisse et crucifie la chair de sa chair
Dix fois multipliée et la paix lisse déjà pâlit ses traits
Et les fils embrassent le front bien-aimé
Et l’infirmier cynique débranchant le sérum cruellement
Annonce comme un guetteur que la bataille est finie
O mort si lente si lente à venir.
Extrait de:
1981, Solo et Autres Poèmes, (Editions Calligrammes)
Xavier Grall
Maladie
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