Galanterie Macabre

Dans un de ces faubourgs où vont des caravanes

De chiffonniers se battre et baiser galamment

Un vieux linge sentant la peau des courtisanes

Et lapider les chats dans l'amour s'abîmant,
J'allais comme eux : mon âme errait en un ciel terne

Pareil à la lueur pleine de vague effroi

Que sur les murs blêmis ébauche leur lanterne

Dont le matin rougit la flamme, un jour de froid.
Et je vis un tableau funèbrement grotesque

Dont le rêve me hante encore, et que voici :

Une femme, très jeune, une pauvresse, presque

En gésine, était morte en un bouge noirci.
— Sans sacrements et comme un chien, — dit sa voisine.

Un haillon noir y pend et pour larmes d'argent

Montre le mur blafard par ses trous: la lésine

Et l'encens rance vont dans ses plis voltigeant.
Trois chaises attendant la bière : un cierge, à terre,

Dont la cire a déjà pleuré plus d'un mort, puis

Un chandelier, laissant sous son argent austère

Rire le cuivre, et, sous la pluie, un brin de buis...
Voilà. — Jusqu'ici rien : il est permis qu'on meure

Pauvre, un jour qu'il fait sale, et qu'un enfant de chœur

Ouvre son parapluie, et, sans qu'un chien vous pleure,

Expédie au galop votre convoi moqueur.
Mais ce qui me fit mal à voir, ce fut, la porte

Lui semblant trop étroite ou l'escalier trop bas

Un croque-mort grimpant au logis de la morte

Par la lucarne, avec une échelle, à grands pas.
La mort a des égards envers ceux qu'elle traque :

Elle enivre d'azur nos yeux, en les fermant,

Puis passe un vieux frac noir et se coiffe d'un claque

Et vient nous escroquer nos sous, courtoisement.
Du premier échelon jusqu'au dernier, cet être

Ainsi que Roméo fantasquement volait,

Quand, par galanterie, au bord de la fenêtre,

Il déposa sa pipe en tirant le volet.
Je détournai les yeux et m'en allai : la teinte

Où le ciel gris noyait mes songes, s'assombrit,

Et voici que la voix de ma pensée éteinte

Se réveilla, parlant comme le Démon rit.
Dans mon cœur où l'ennui pend ses drapeaux funèbres

Il est un sarcophage aussi, le souvenir.

Là, parmi ses onguents pénétrant les ténèbres,

Dort Celle à qui Satan lira mon avenir.
Et le Vice, jaloux d'y fixer sa géhenne,

Veut la porter en terre et frappe aux carreaux; mais

Tu peux attendre encor, cher croque-mort : — ma haine

Est là dont l'œil vengeur l'emprisonne à jamais.

Extrait de: 
Poèmes de jeunesse

Stéphane Mallarmé

Évaluations et critiques :

Galanterie Macabre
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