Sa Fosse est Fermee

JUILLET
« À notre maison blanche, où chante l'hirondelle
»

Dans un bois verdoyant, vous viendrez, disait-elle
»

Nous cueillerons les fleurs que cachent les grands blés,
»

Le soleil qui les dore a fait mes pieds ailés,
»

Et le soir, au foyer où chaque cœur s'épanche,
»

Nous ferons pour ma mère une couronne blanche... »
La fleur rit aux épis : l'alcyon chante encor,

Elle seule a passé ! — sous un saule elle dort.
Albion !

Albion ! vieux roc que bat l'écume,

Devais-tu donc lui faire un linceul de ta brume !

On ne savait donc pas que sous ton sombre ciel

Le soir où don la fleur est un soir éternel,

Et qu'au lieu de rosée, aux reflets de l'aurore,

Des pleurs inondent seuls son calice incolore !
Non !... son père l'aimait, vieillard à qui les ans

N'ont point ravi l'amour pour prix des cheveux blancs,

Et l'amour, comme on sait, est sœur de l'espérance.

Il disait plein d'espoir : «

Dieu, que le ciel encense

Ne peut pas envier l'ange de notre toit. »

Car le soir, au foyer, quand son timide doigt

Dans la bible aux clous d'or, où prièrent ses pères,

Faisait épeler «

Ruth » à ses deux jeunes frères,
Le soir, on eût pensé qu'un ange voyageur,

Comme ceux qu'il voyait au livre du

Seigneur,

Sous leur tente venait révéler ses purs charmes,

Et bénir la famille, et sécher quelques larmes,

Et porter aux enfants un baiser du

Très-Haut !
Que vont-ils devenir, hélas ! loin de son aile

Sous laquelle, en volant du foyer, l'étincelle

Brillait comme une étoile, et rappelait les deux !

A

Noël quand vibrait son chant mélodieux,

Un silence pieux planait sur chaque tête :

Seule la mère, au soir, songeant à l'autre fête,

Sentait battre son cœur et se mouiller son œil.

Elle, riant, disait : «

Mère, pourquoi ce deuil ? »
Pourquoi ce deuil, ô mère ?

Harriet est l'auréole

Qui luit sur la famille, et dont l'éclat console.
C'était l'âme de tout ! la

France au ciel d'azur
A pleuré de la voir fuir son beau soleil pur.
Son lac américain où le

Niagara brise
L'algue blanche d'écume, a gémi sous la brise :
«

La mirerons-nous plus, comme aux hivers passés ? »
Car, comme la mouette, aux flots qu'elle a rasés
Jette un écho joyeux, une plume de l'aile,
Elle donna partout un doux souvenir d'elle !
De tout que reste-t-il ? que nous peut-on montrer ?
Un nom ! sur un cercueil où je ne puis pleurer !

Un nom ! qu'effaceront le temps et le lierre !

Un nom ! couvert de pleurs, demain de poussière

Et tout est dit.
Oh ! non, doit-on donc l'oublier ?

Qui sut se faire aimer ne meurt pas tout entier !

On laisse sa mémoire ainsi qu'aux nuits l'étoile
Laisse une blanche lueur qu'aucune ombre ne voile :
Et, mort en son cercueil, on revit dans les cœurs !
Non !... tout n'est pas perdu ! pour endormir leurs pleurs,
Le soir, elle viendra sous les ailes d'un ange
A ses sœurs murmurer des neuf chœurs la louange !
Dans leurs rêves dorés, ses frères sur leur front
Sentiront un baiser, et ravis, souriront !
Quand la brise des nuits sous la lune argentée
Gémira par le parc en la feuille embaumée,
On la verra passer comme une ombre d'azur
Et le matin la fleur sera d'un bleu plus pur !
Enfants, oh ! pleurez-la comme une sœur éteinte,
Mais aussi priez-la comme on prie une sainte !
Le soir à la prière, où manquera sa voix,
N'oubliez pas un nom gravé sous une croix !
Car c'était une vierge au regard d'innocence
Que le ciel vous prêta pour bénir votre enfance :
Il lui rendit son aile, elle revint à

Dieu !
Mais en partant du moins elle vous dit :

Adieu !...
Vous avez sur ce

Ut où ce combat expire
Baisé sa main tremblante, en son dernier sourire !
Hélas ! plus que le vôtre il est un cœur brisé !

Loin, derrière les flots, rêvant au lys glacé

Une sœur, l'œil en pleurs, a maudit l'espérance,

Qui lui disait trompeuse : «

Aux lacs de ton enfance

Retourne la première : avec les fleurs, l'été

Va rendre à toi, ta sœur, à ta sœur, sa santé !...

Au cercueil elle aussi vient demander sa couche

Pour n'avoir pas, hélas ! recueilli sur ta bouche,

Harriet, ce mot d'un cœur qui se fait immortel,

Le dernier de la terre et le premier du ciel !
Ah ! pleure, infortunée ! en ta barque perdue,

Seule, tu n'auras point, pour reposer ta vue

Ce tableau déchirant, mais qui brille si doux

De l'ange qui bénit sa famille à genoux !
Et moi !... n'était-ce assez pour ta faux déplorée,

Dieu, d'avoir moissonné ma sœur, rose égarée

Dans les épis que l'âge a courbés vers le sol ?
Non ! — à l'archange noir tu comptes un grand vol !
Et quand je pleure, ô

Dieu, tu ris dans la fumée
Qu'exhale en blancs flocons du ciel l'urne embaumée !
Tu ris !... et comme toi rit l'heureux univers.
L'oiseau boit la rosée et chante dans les airs,
La fleur sous le zéphyr que sa senteur parfume
Berce le papillon, qui, riant, sur l'écume
Se mire au flot d'azur, écoute son doux chant ;
Et le soleil n'a pas moins de pourpre au couchant !
Le flot n'est pas moins beau, sa voix n'est pas plus sombre,
De moins d'astres le ciel ne sème pas son ombre !
La nature dit :

Joie, et l'écho chante :

Amour,
Et, narguant mes pleurs, tout poursuit joyeux son jour !
Elle est morte !... et demain le siècle qui succombe

Lui donnera l'oubli, cette seconde tombe !

Foulant sa cendre aux pieds les autres passeront,

Sans prier à genoux, sans détourner le front !

D'autres épis comme elle avant qu'on ne moissonne

Tomberont ; d'autres pleurs couleront : et personne

En entendant son nom, hélas ! ne sourira !
«

Elle est morte », dit-on, et chacun l'oubliera.
Pourquoi montrer ces cœurs, ô

Dieu qui les protège,

Pourquoi les faire aimer, si, comme pour tes neiges,

C'est assez d'un rayon... pour fermer leur cercueil ?

Fleur par fleur, chaque soir, on voit, la larme à l'œil,

S'effeuiller la couronne, — où demeure l'épine !

Et perdu dans ce deuil, on sent que l'on s'incline

Où va la feuille jaune, et qu'il faut, ô destin !

Plier sa tente, un soir qui n'aura de matin !

On ignore pour qui sa larme coule, — et prie !

Hier ! c'était ma sœur ! aujourd'hui mon amie !

Cette nuit pour demain a filé mon linceul !

Couche-m'y, sombre mort, je ne sais vivre seul !
.

Stéphane Mallarmé

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