À un Poète Immoral

Puisque ce soir, onze décembre

Mil huit cent soixante-un, je n'ai

Qu'à rouler le chapelet d'ambre

D'un rêve cent fois égrené,
Les pieds au feu, sans que m'égare

Quelque bonnet blanc inconstant,

Je vais avec ce blond cigare

Allumer ma verve un instant.
Et, tant que sa lueur vermeille

Égaiera l'ombre, te rimer

Une préface où l'on sommeille,

Moi, qui songe à les supprimer !
Si l'odelette parfumée

Ne survit au manille, sois

Franc, c'est qu'hélas ! Tout est fumée,

Tabac d'Espagne et vers françois.
Tout ! ... jusqu'au vieil épithalame

De la folie et des vingt ans,

Car par la ville plus d'un blâme

Ta gaîté qui sent le printemps,
Plus d'un dans sa vertu ridée

Se drape et t'appelle immoral,

Toi, qui n'as pas même l'idée

D'un prospectus électoral !
Laisse chanter, ô cher bohème,

Leur chanson à tous ces pervers

Si pervers que pas un d'eux n'aime

Et que pas un ne fait de vers !
Tu ne rêves pas pour ta prose

De ruban rouge où pend la croix,

Et préfères la gance rose

D'un corset délacé, je crois ?
Tel le sage. Il fait à la pomme

Mordre quelque Ève au fond des bois

Et baise ses cils dorés comme

Le thé qu'en t'écrivant je bois.
Watteau, fier de ta comédie

Qui sert aux sots d'épouvantail

À Terpsichore la dédie

Peinte sur un fol éventail ;
Bruns aegipans, noirs scaramouches

Au parc rêveur l'éventeront

La nommant déesse aux trois mouches,

Marquise ayant un astre au front !

Extrait de: 
Poèmes de jeunesse

Stéphane Mallarmé

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À un Poète Immoral
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