Miroir Ardent

Tandis qu'on s'assied sur le couvercle du crépuscule
Le pierrot vert
(Pâleur nègre du pierrot vert
Comme de ces villes sur qui le ciel

Isolé total aussi —
Se referme particulier
Avec ses religions ses dieux nouveaux)
Réverbères sous la lune
Poudroie sa face
Long hallali de minceur

Marbre rosée le corps

La peau de diamants
La nuit jusqu'au plus haut gradin
Frémit au pas de la proue
Roulis tangage filins
Chaînons agrafes les mots qui blessent
Mais monte la houle !
D'œil à œil le bois s'étend

Oh marches semez de toiles de prix
Vos demeures — insoupçonné
Ni cris ni bruissements
Ni frisselis ni chuintements ni gazouillis le dénoncent
Il faut la proximité pour que tout devienne pente
Vers le paroxysme des yeux bridés
À toute volée la cloche

L'Icare dément voile sa voix marine

Ses ailes en nageoire
Tant d'hirondelles seront mortes autour de toi vaisseau !
Dans l'abîme la clarté des roses de charbon
La chaleur de l'adorable enfer de poche
Les meurtres clairs du matin brumeux les soirs de
neige

Les divinités tutélaires dormant À poings fermés

Les fleuves de bonté charriant les îles
C'est toi que je voyais
Et toi et toi seulement
Splendeur précaire puisqu'elle change immobile
Et devient hostile ou morte ou sourde
Où sont tes liens éternité du regard
Où le poids de ta salive distillant le baume
Où le nombril du monde ?
Si je me souviens
Ce n'était pas la voix
Ni cette fureur ni ce mur lisse
Il y avait le paysage au fond du paysage
Par où les lacs de ta patrie rejoignent
Ces courants sensibles au visage du cœur
Mais à présent tout dort d'un mauvais songe
Les mots de fer
Les pierres n'ont plus le cœur chaud
La nuit s'affale sous des joyaux de chaînes
Le ciel est gris
Toute fenêtre close sur l'esprit
L'odeur insupportable
Le grésillement imbécile des automates
Qui peuplent aujourd'hui la vie
Des mots des bribes des lambeaux
Où la pensée ne brûle
Alors que plus jamais
Ne cessera-t-on d'entendre les noms maudits
Toujours les mêmes associations d'idées
Les mêmes mots-leviers
Continueront de jouer
A perte de vue sur la destinée humaine

Où tout de même nous avons quelque part
Mais si je ferme les yeux
Les fougères montent à l'assaut de la fumée très pure
du miroir À ce moment il n'a d'échappée que vers ta bouche À ce point d'or où se touchent le désir et le néant

J'entends la nostalgie

Mais par néant j'entends la faute

De vouloir confronter le désir Étancher la soif
Mais peut-on étancher la soif

Exister ?
À ce tournant pierrot
J'arrive à moi-même
Il n'y a plus de ciel ni dieu
Et ce que j'imaginais divers
Ce n'est que l'unité de l'œil de mort
Car j'ai toujours existé
Octobre-novembre 1952-mars 1953

César Moro

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Miroir Ardent
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