Le Tombeau d’Arthur Rimbaud

Qui suis-je moi qui suis sorti

de la tombe où je t’attendais

moins une jambe que je n’ai

pas réussi à remplacer

avant de repartir là-bas

comme je l’aurais tant voulu

comme j’attendais dans ma chambre

mère un baiser qui ne venait

que rarement et si furtif

que mes larmes se remplissaient

d’insultes que je ravalais

dans l’ambiguïté de mes flammes
D’où suis-je venu trébuchant

car c’était un tout autre enfer

que celui d’où j’ai réchappé

que j’avais cherché provoqué

où ai-je trouvé la béquille

que j’ai posée contre un pilier

quant à la peau blanche grisâtre

c’est la couleur de l’entre-temps

parcouru d’illuminations

qui sont les souvenirs des rêves

que j’étouffais dans mes navettes

entre l’eau l’Afrique et l’Asie
Où suis-je que veut dire ici

et qui était cette personne

en grande toilette disant

« viens donc près de moi tu seras

beaucoup mieux qu’ici » quel ici

celui de la tombe ou celui

de l’église de Charleville

où j’aurais voulu te parler

mère mais n’ai pu que répondre

en l’appelant « ma tante » quelle

tante je ne l’ai pas connue

serait-ce une sœur de mon père
Où voulait-elle m’emmener

transformée en ange gardien

dans quelle saison quel château

dans quel Aden de l’autre monde

dans quel Harrar transfiguré

« je vous remercie je me trouve

très bien ici et je vous prie

de m’y laisser » où trouverais-je

la femme et l’enfant désirés

que j’aurais voulu vous montrer

pour voir éclore ce sourire

que vous m’avez tant refusé
Où vais-je maintenant dans quel

tombeau différent de celui

que vous creusez pour reposer

entre les os entremêlés

de votre père et Vitalie

à qui je montrais les musées

de Londres quand tous les espoirs

nous étaient encore permis

et les miens que vous laisserez

dans le cercueil bien conservé

avec la belle croix dorée

qui n’a pas empêché ma fugue
La pluie tombe sur Charleville

des lycées vont porter mon nom

on fêtera l’anniversaire

de ma naissance et de ma mort

de savants universitaires

vont me traiter de tous les noms

sans doute il s’agit de quelqu’un

que j’aurais voulu devenir

mais qui s’est dérobé sous moi

comme une jambe que l’on coupe

et qu’on ne peut pas remplacer

je me trouve très bien ici
Le vent siffle sur les mosquées

la voile claque sur les vagues

les porteurs me secouent toujours

qui parle ici qui se faufile

dans les ossements de ma vie

usurpateur d’identité

voleur du feu de mon bûcher

fantôme d’un ancien fantôme

je cherche l’autre que je suis

déchiqueté dans mes errances

mère notre tombe se creuse

en l’engloutissement d’un monde.

Michel Butor
Poésie

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