Tu rirais…

Tu rirais d’un pauvre diable qui t’aimerait

et cependant tu pourrais devenir la chienne

d’un homme qui ne t’aimerait pas et rirait.

Crois-moi : préfère le pauvre diable sans haine

qui serait pour toi très complaisant et très doux.

Puis, qu’est-ce qui te dit que, comme une chérie,

tu ne mettrais pas tes minces bras à son cou

en croisant tes petits doigts comme quand on prie ?
Va : n’attends pas un grand poète à cheveux longs :

il n’en existe pas plus que des mousquetaires

ou que des princes russes distingués et blonds :

le bien-aimé ne se trouve pas sur la terre ;

et pourtant devant le pauvre diable tu ris

parce que tu lisais, étant toute petite,

dans les livres de distribution des prix

que les beaux fiancés se faisaient aimer vite.
Regarde les vieux qui sont ridés et tout blancs

et qui dans leur temps croyaient, eux aussi, des choses :

ils ont de grosses veines dans leurs doigts tremblants

et sont confus de s’être offert jadis des roses.

Puis, je crois que, si l’on a plus tard des enfants,

il vaut bien mieux qu’un peu d’amitié vous rapproche :

car l’amitié fait mieux aimer l’enfant — souvent

la femme embrasse son mari contre son mioche.

1888.

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Tu rirais…
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