Ô froide et brûlante à la fois pécheresse au corps de corail …

Un espion de Castille franchissant le Djebel Cholaïr As-Sadj parvient au dessus de Grenade
Ô froide et brûlante à la fois pécheresse au corps de corail

Ville des Juifs aux mille et trente tours dans tes rouges murailles

Genoux talés percé d’aiguilles sourd de neige et l’âme en sang

Je te découvre et tes jardins d’amandiers à l’ombre du Croissant

Fille de Mahom sous ma robe j’apportais des clous

Et l’arbre du Vrai Dieu comme la lettre d’un amant jaloux

Te voilà terre philosophale à mes pieds d’où sort l’orange

Et j’ai peur maintenant de trop bien comprendre les Mauvais Anges

Séduit par l’attrait de l’enfer à retrouver l’Andalousie

Je suis envahi tout à coup par un parfum d’apostasie

Grenade à chair de violette et de jasmin dont le vent mène

A moi comme de bains publics une anonyme odeur humaine

Tel est le désir au ventre que j’ai de toi que je me dis

Que pour connaître la senteur du bois il faut une incendie

Et je ne te posséderai jamais autrement pour moi-même

Je suis l’émissaire d’un Roi chargé de te dire qu’il t’aime

Qu’il ira de force ou de gré te prendre bientôt dans ses bras

Te serrer dans ses jambes d’or tant que le ciel en saignera

Je ne vais pas te raconter ma longue et déplorable histoire

Et pourquoi je flaire le vent quand je longe tes abattoirs

Et de qui je suis le jouet Comment je ne m’appartiens plus

Car ma vie est derrière moi Seul m’obéir m’est dévolu

Il ne reste rien de ces jours ici qui furent ma jeunesse

Et l’écuelle est renversée où nul n’a bu le lait d’ânesse

Je suis le fruit tombé de l’arbre et l’objet de perversion

Taché talé honni jauni sali séché par le vent noir des passions

J’ai joué mon ciel et mon sang j’ai brûlé mes jours et mon ombre

J’ai payé d’une éternité la saison de mes plaisirs sombres

J’ai roulé l’image de Dieu dans la boue de l’ignominie

Et dans mon propre cauchemar c’est moi qui moi-même punis

C’est dans mon miroir que je lis le roman de mes propres crimes

Devenu mon propre bourreau devenu ma propre victime

Prisonnier de ce que j’ai fait prisonnier de ce que je fus

Et chaque pas m’est pour le pire à quoi je n’ai droit au refus

La calomnie est mon devoir la corruption mon système

Qui je veux perdre je noirci du fard de mes propres blasphèmes

Du stupre caché de mes nuits du sang que répandit ma main

Soldat de cette guerre affreuse où le mal est le seul chemin

Je suis venu voir ici le défaut des murs les lieux d’échelle

Et dans l’âme des gens la brèche et l’heure où dort la sentinelle

Il faut sonder le désespoir frapper où l’homme sonne creux

Qui tremble perdre sa richesse ou celui qui est malheureux

Faire lever l’ambition dans les pâtures subalternes

Semer au créneau l’incrédulité soudoyer la poterne

J’épongerai l’étoile au ciel je couperai sa gorge au cri

Et seuls les chevaux remueront vaguement dans les écuries

Mais vertige de ta beauté quand j’ouvre ta ceinture d’arbres

Je trahis mon maître et la Croix dans tes cours d’ombrage et de marbre

Je perds le Dieu de mon baptême à l’eau fraîche de tes vergers

Sur la musique de mon c?ur il n’est plus que mots étrangers

Sur les pentes du Cholaïr je suis comme l’infant Sanchol

Qui rasa sa tête et changea pour Chandja son nom d’Espagnol

Pour cela nul ne sait quel fruit parricide il avait mordu

Ni si vraiment c’est pour quelques maravédis qu’il s’est vendu

Moi c’est une façon de langueur qui corrompt l’air de ma narine

Mon ombre n’est plus sur mes pas mon c?ur n’est plus dans ma poitrine

Seigneur mon Dieu pardonnez-moi de vous préférer ce vin doux

Et le parjure est sur ma langue et je vous renonce à genoux

Et je frémis comme l’incestueux dans les bras de sa mère

Car cela ne se peur terminer que dans une terre amère

La jouissance même est pour lui sa honte et son dénuement

De quelque côté qu’il se tourne il y trouve son châtiment

Et je suis pire que celui qui profane sa propre souche

Moi qui trahis ma trahison et qui mens à ma propre bouche

En désaccord l’âme et la main par une infâme comédie

Mêlant la mort et le baiser les péchés et le paradis

Déjà je vois la gorge à l’air rouler dans d’autres bras la ville

Et de sa chair il adviendra comme de Cordoue et de Séville

Où les paroles du Coran se barrent de mots en latin

Et chaque rue ivre et sanglante est devenue une putain

Que baisent des soldats heureux proférant des jurons étranges

Pour qui toute nuit désormais aura le parfum de l’orange

Ils promèneront avec eux un carnaval de dieux géants

Et le suaire et la cagoule et le feu pour les mécréants

Ils installeront leur chenil au seuil des palais almohades

Et mettront leur linge à sécher sur le visage de Grenade

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Ô froide et brûlante à la fois pécheresse au corps de corail …
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