Chère Philis, j’ai bien peur que tu meures

Dans ce désert si triste où tu demeures.

Hélas! quel sort te peut là retenir?

A quoi se peut ton âme entretenir?

Ta fantaisie est-elle point passée?

L’aurais-tu bien encor en la pensée?

Te souvient-il de la Cour ni de moi,

Et de m’avoir jadis donné ta foi?

S’il t’en souvient, Philis, je te conjure,

Par tous les droits d’amour et de nature,

Fais-moi l’honneur de t’assurer aussi

Que je languis de mon premier souci.

Si tu savais à quel point de folie

M’a fait venir cette mélancolie,

Si tu savais à quoi je suis réduit,

En quel travail mon âme est jour et nuit,

Quoi que t’ait dit de moi ta défiance,

Ta jalousie ou ton impatience,

Tu m’aimerais et sachant mes ennuis,

Tu me plaindrais en l’état où je suis.

Pâle, défait et sec comme une idole,

Changé d’humeur, de face, de parole,

Toujours je rêve en mon affliction,

Sans nul désir de consolation.

Je ne veux point que personne s’emploie

A ranimer mon esprit ni ma joie,

Car sans te faire un peu de trahison,

Je ne saurais chercher ma guérison.

Puisqu’il est vrai que j’ai cet avantage,

Que mon service a gagné ton courage,

Et que parmi tant d’aimables amants,

Mon seul objet touche tes sentiments,

Je serais bien d’un naturel barbare,

Bien moins civil qu’un Scythe, qu’un Tartare,

Si je n’aimais le bien de ton amour

Plus chèrement que la clarté du jour.

Le Ciel m’envoie un trait de son tonnerre,

Et sous mes pieds fasse crever la terre,

Dès le moment qu’un sort injurieux

De ma mémoire effacera tes yeux.

Hélas! comment trouverai-je en ma vie

Quelque sujet qui m’en donnât envie?

Quelle beauté me saurait obliger

A divertir ma flamme ou la changer?

Dedans la tienne, où loge ma fortune,

Vénus a mis ses trois Grâces en une.

Amour lui-même avec tous ses attraits,

Comme il est peint dans les plus beaux portraits,

Rapporte à peine une petite trace

Du vif éclat qui reluit dans ta face.

Et tes beaux yeux, où s’est lié mon sort,

Touchent les cœurs d’un mouvement si fort

Que, si le Ciel d’une pareille flamme

Nous inspirait sa volonté dans l’âme,

Tous les mortels d’une invincible foi

Obéiraient à la divine loi.

Ton front paraît comme auprès de la nue

Paraît au ciel Diane toute nue:

Plus uni qu’elle, et qu’on ne voit gâté

D’aucune tache empreinte en sa beauté;

Un teint vermeil et frais comme l’Aurore,

Lorsqu’elle vient des rivages du More,

Sur ton visage a semé tant d’appas

Qu’il faut t’aimer ou bien ne te voir pas.

Amour, sachant de quels traits est pourvue

Cette beauté, s’est fait ôter la vue;

Il n’ose point hasarder ses esprits

A la merci du charme qui m’a pris;

Et tel qu’il est, impérieux et brave,

Il meurt de peur de devenir esclave.

O cher tyran des hommes et des dieux!

Aveugle-toi de grâce encore mieux;

Demeure ainsi dans ta première crainte,

Et ne la vois jamais vive ni peinte;

Tu ne saurais regarder un moment

De ses beautés l’ombre tant seulement,

Sans t’embraser, sans trouver la ruine

De ton empire en leur flamme divine.

Que si l’effort de ton cœur indompté

De ses appas sauvait ta liberté,

Tu te plaindrais d’avoir l’âme trop dure,

Et maudirais ta force et ta nature;

Car le bonheur d’aimer en si bon lieu

Passe la gloire et le repos d’un dieu.

Que penses-tu que le Soleil est aise

Lorsqu’un rayon de sa clarté la baise!

Lorsque Philis regarde son flambeau

D’un air joyeux, le jour en est plus beau.

Et quand Philis lui fait mauvais visage,

Le jour est triste et chargé de nuage;

L’air, glorieux de former ses soupirs,

Entre en sa bouche avecque des zéphyrs

Tous embaumés des roses de l’Aurore,

Et tous couverts des richesses de Flore.

Zéphyr, doux vent, doux créateur des lys,

S’il te souvient encore de Philis,

Ranime-la, fais tant qu’elle revienne

Pour te baiser, et me laisse la mienne.

Mais les discours qu’on nous a fait de toi

En mon esprit n’ont jamais eu de foi;

Ton feint amour, tes fausses aventures

Ne sont que vent et que vaines figures;

Mais il est vrai que je suis bien atteint,

Et que mon mal ne saurait être feint.

Que plût aux dieux que le discours des fables

Trouvât en moi ses effets véritables,

Et que le sort me voulût transformer

En quelque objet qui ne sût rien aimer!

Que je mourusse ou qu’il me fût possible

De devenir une chose insensible,

Un vent, une ombre, une fleur, un rocher,

Qu’aucun désir ne pût jamais toucher!

O vous, amants, qui n’avez plus d’envie,

Esprits heureux qui n’êtes plus en vie,

Là-bas, noyant vos maux en vos erreurs,

Vous trouvez bien plus douces vos fureurs!

Tristes forçats qui remplissez ce gouffre,

Souffrez-vous bien les peines que je souffre?

Pâles sujets des éternelles nuits,

Etes-vous bien aussi morts que je suis?

O mon fidèle et mon triste génie!

Quand tu verras ma trame désunie

Et que mon âme ira toucher les bords

De la rivière où passent tous les morts,

Vole au désert où ma Philis demeure,

Dis-lui qu’enfin le Ciel veut que je meute,

Que la rigueur de mon injuste sort

Consent enfin de me donner la mort.

Tu la verras peut-être un peu touchée,

Et de ma mort aucunement fâchée.

Va donc, génie, il est temps de partir,

Vois que mon âme est prête de sortir.

Mais non, génie, arrête-toi, je rêve,

Cette douleur me donne un peu de trêve;

J’entends Philis, son visage me rit.

Le souvenir de ses yeux me guérit.

Comment, mourir? non, reprenons courage,

Un teint plus vif remonte en mon visage,

Ma force éteinte est prête à s’animer,

Et tout mon sang vient à se rallumer.

Amour m’émeut, je ne suis plus si blême,

Philis m’aima que j’étais tout de même;

Car je sais bien qu’encor elle verrait

En mes regards des traits qu’elle aimerait.

Que si l’excès de ma douleur fatale

Rend quelquefois ce corps hideux et pâle,

Cela, Philis, devrait plus animer

Ce beau désir qui te pousse à m’aimer.

Mon mal me rend ainsi désagréable,

Pour trop aimer je deviens moins aimable,

Ton oeil me rend ou plus laid ou plus beau,

Comme il m’approche ou me tire du tombeau.

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