Les 5 et 6 juin 1832

Chant funèbre

Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Ces enfants qu’on croyait bercer

Avec le hochet tricolore

Disaient tout bas : il faut presser

L’avenir paresseux d’éclore :

Quoi ! nous retomberions vainqueurs

Dans le filets de l’esclavage !

Hélas ! pour foudroyer trois fleurs

Fallait-il donc trois jours d’orage ?
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Le peuple, ouvrant les yeux enfin,

Murmurait : On trahit ma cause ;

Un roi s’engraisse de ma faim

Au Louvre, que mon sang arrose ;

Moi, dont les pieds nus foulaient l’or,

Moi, dont la main brisait un trône,

Quand elle peut combattre encor,

Irai-je la tendre à l’aumône ?
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
La liberté pleurait celui

Qu’elle inspira si bien naguère ;

Mais un fer sacrilège a lui,

Et l’ombre pousse un cri de guerre :

Guerre et mort aux profanateurs !

Sur eux le sang versé retombe,

Et les Français gladiateurs

S’égorgent devant une tombe.
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Alors le bataillon sacré

Surgit de la foule, et tout tremble ;

Mais contre eux Paris égaré

Leva ses milles bras ensemble.

On prêta, pour frapper leur sein,

Des poignards à la tyrannie,

Et les derniers coups du tocsin

N’ont sonné que leur agonie.
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Non, non, ils ne s’égaraient pas

Vers un avenir illusoire :

Ils ont prouvé par leur trépas

Qu’aux Décius on pouvait croire.

O ma patrie ! ô liberté !

Quel réveil, quand sur nos frontières

La République aurait jeté

Ce faisceau de troupes guerrières !
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Sous le dôme du Panthéon,

Vous qui rêviez au Capitole,

Enfants, que l’appel du canon

Fit bondir des bancs d’une école

Au toit qui reçut vos adieux

Que les douleurs seront amères,

Lorsque d’un triomphe odieux

Le bruit éveillera vos mères !
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
On insulte à ce qui n’est plus,

Et moi seul j’ose vous défendre :

Ah ! si nous les avions vaincus,

Ceux qui crachent sur votre cendre,

Les lâches, ils viendraient, absous

Par leur défaite expiatoire,

Sur votre cercueil à genoux,

Demander grâce à la victoire.
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !
Martyrs, à vos hymnes mourants

Je prêtais une oreille avide ;

Vous périssiez, et dans vos rangs

La place d’un frère était vide.

Mais nous ne formions qu’un concert,

Et nous chantions tous la patrie,

Moi sur la couche de Gilbert,

Vous sur l’échaffaud de Borie.
Ils sont tous morts, morts en héros,

Et le désespoir est sans armes ;

Du moins, en face des bourreaux

Ayons le courage des larmes !

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