Adieux d’un suicide

Devota morti, et consecrata victima

projeci amorem lucis.

BUCHANAN, Jephté.

En ma jeune saison j’aimai d’amour extrême ;

J’ai reposé ma bouche aux lèvres de Lénor.

Hélas ! j’aurai sans doute offensé ce que j’aime ;

Lénor de ses baisers m’a repris le trésor.
Oui Lénor, j’ai failli, car je fus trop fidèle.

Un nom cher et sacré m’animait aux combats ;

Et je le trace encor quand je m’éloigne d’elle :

Je meurs, et malgré moi je le redis tout bas.
Jeune enfant, mon armure a gardé ton écharpe ;

Quelle autre sur mon casque attacha le cimier ?

Ta main seule et la mienne ont fait pleurer ma harpe ;

Et mon front sur le tien s’est posé le premier.
Je sens depuis long-temps ton âme qui me quitte :

Mon âme à cet exil ne peut plus consentir ;

Du crime de ma mort mon désespoir t’acquitte :

Puisses-tu même, hélas, ne pas t’en repentir !
O ma mère ! pardon si je suis sans courage ;

Pardon, je suis coupable envers tes cheveux blancs :

Te voilà veuve encor ; tu guidas mon jeune âge,

Et moi je me refuse à tes vieux pas tremblans.
En apprêtant ma mort j’ai pleuré sur mes armes :

Si jamais, jeune enfant, tu te souviens de moi,

Sois propice à ma mère et pleure de ses larmes ;

Rends à ses jours l’appui qu’ils ont perdu par toi.
Je ne pourrais mourir si je tardais encore,

Et je ne veux plus vivre. Adieu, tous mes amis !

Lénor, c’est maintenant mon tombeau qui t’implore ;

Donne-lui quelques pleurs, je me le suis promis.
Passy, août 1820.

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Adieux d’un suicide
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