La Veillée du dernier jour de l’an

I
C’est encore une année en fuite et qui s’enfonce,

Et qui va s’éteignant dans l’âtre avec la cendre ;

La chambre se recueille et toute elle se fonce ;

Et les reflets, dans le miroir, semblent descendre.
La bûche lentement dans l’âtre se consume ;

La chambre songe, encore un peu enluminée

Par la bûche qui est déjà presque posthume,

Chaleur de la dernière bûche de l’année !
O bûche qui va finir

Toute noircie et calcinée !

Elle fut la branche vivante :

Geste d’ombre qui fait des caresses à l’herbe,

Éventail de feuilles qui s’évente ;

Et la voici qui va mourir !

Elle se tord et s’exacerbe

Pour une minute encor…

Le vent dans la cheminée

S’afflige comme un cor

En sonnant l’hallali de la mourante année

Avec la bûche ? terminée !
L’année aussi avait été

Une branche de notre vie :

Verdure de printemps, suivie

Du feuillage d’or de l’été…

O branche à présent dépouillée,

Se survivant encore un peu

Dans sa robe de feu

Qui sera bientôt robe grise,

Année en fuite, et déjà presque désapprise,

Déjà presque oubliée !

Ainsi les choses vont !

Tout se hâte, trébuche

Dans l’éternité sans fond,

L’année avec la bûche,

La bûche avec l’année.

On entend s’affliger le vent,

Et tout va s’achevant

En un peu de fumée.
II
Souvenirs ! Souvenances !

Le bon été près de la mer :

Travail fécond dans le jour clair

Pour œuvre dès longtemps conçue ;

La mer s’allongeait

Vaste comme mon projet,

Entr’aperçue

Entre les sables blonds des dunes étagées,

Tranquilles éminences

Où des fleurs piquaient leurs dragées.
Dans le cadre de ma croisée

Je voyais partout des chaloupes

Par calmes groupes,

S’approchant avec leurs voiles apprivoisées

Et les gestes de l’équipage.

Allaient-ils atterrir sur ma page ?

La plume mordait comme une ancre.
Je sentais se rythmer mes pensées

Selon les barques balancées ;

Toute la mer flottait dans l’encre !

Souvenirs ! Souvenances !

Les dunes qui s’échancrent

Laissaient apercevoir les vagues, une à une.

Les vagues qui toujours recommencent…

O ce déferlement

Parallèlement !
Moi-même en proie à la lune, comme la mer !

L’âme s’agite et c’est la lune qui la mène ;

Flux et reflux, d’une autre mer, dans l’âme humaine.
III
Souvenirs ! Souvenances !

Après l’été, le bon hiver,

Moins de rayons ? plus de nuances !

Le bon hiver, près de la lampe

A qui son abat-jour met un halo de tulle !

Si calmes jours, si calmes soirs,

Avec des livres, des estampes,

Et le prolongement de soi dans les miroirs !

Et l’on récapitule

L’année où rien n’est arrivé ;

Nul vol d’oiseaux ne s’est défatigué

Sur la maison au toit de tuiles !
O cette vie un peu, un peu trop immobile !

Toujours le même rêve inachevé

Et le même canal au long du même quai ;

Toujours les mêmes livres,

Et aux vitres, toujours les mêmes fleurs de givre.

Année, encor pareille aux autres, qui s’en va…

Hiver, été, printemps, automne ;

Et le ciel monotone…

Trop monotone canevas !
Souvenirs ! Souvenances !

Et tout est refrain de romances !
IV
Encore une nouvelle année :

Encore une bûche allumée !

Dans l’âtre noirci

Le bois pétille, gaîment flambe

(Dans mon cœur aussi) ;

Il ajoute sa flamme à la lampe,

Et les ombres sur le plafond,

En dansant, s’en vont…

Une chaleur neuve s’épanche ;

L’année éclôt comme un dimanche…

Une nouvelle année encor !…

Le vent dans la cheminée

N’est plus triste comme le son du cor.

Encore une nouvelle année ;

Encore une bûche allumée !
1897-1898

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La Veillée du dernier jour de l’an
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