Sonnets d’amour

I
Ne crains plus rien d’un cœur qu’a trahi sa fierté :

J’ai descendu la cime éclatante du Rêve.

Pour m’apporter l’oubli l’ivresse fut trop brève :

Mais si je me souviens, tout espoir m’a quitté.
Ne crains plus rien d’un cœur que les jours ont dompté.

L’homme abjure ses vœux, le soldat rend son glaive.

Puisque mon œil vers toi, sans prière, s’élève,

A quoi bon me cacher plus longtemps ta beauté ?
C’est le devoir d’un Dieu de souffrir qu’on l’adore !

Il n’importe qu’à moi si je conserve encore

La mémoire sans fin d’un amour sans remords.
Car le temps seul a su combien tu fus aimée

Et confond dans mon cœur, urne à jamais fermée,

La cendre de mes feux et celle de mes morts.
II
Je suis l’obscur amant de ta beauté farouche

Et voudrais seulement, dans l’ombre confondu.

M’asseoir encore au seuil de mon rêve perdu,

Comme le pâtre à l’heure où le soleil se couche !
Ta rigueur a posé le silence à ma bouche

Et refermé mon cœur sur l’espoir défendu ;

Car, plus lointain que l’astre au fond du ciel pendu

Ton éclat luit plus haut que ce que ma main touche.
Ah ! laisse, à mes regards que la superbe fuit,

Ton front indifférent rayonner dans la Nuit

Qui sur mes bonheurs morts tend sa funèbre toile :
N’éteins pas à mes yeux ce suprême flambeau,

Et garde-moi, du moins, la pitié qu’a l’étoile

Pour le berger pensif assis sur un tombeau !
III
Le temps a tout jeté par terre d’un coup d’aile,

Tout hormis mon amour, — tout hormis ta beauté !

Les autres dieux ont fui le temple dévasté

Où, pour toi seulement, fume un encens fidèle.
Ta grâce resplendit sous mon front tout plein d’elle,

Et, sur les vains débris de la réalité,

Ton souvenir grandit, lys pur qu’a respecté

L’automne qui fleurit les tombeaux d’asphodèle.
J’ai dormi bien longtemps sous la pierre couché

Avant que ta pitié sur mon front ait penché

Des résurrections la fleur surnaturelle.
Mes yeux s’étaient éteints, ne devant plus te voir.

Mais telle est ta splendeur et tel est son pouvoir

Qu’ils se sont rallumés pour se lever sur elle !
IV
Tout vit encore en toi de ce qu’en toi j’aimais !

La Beauté d’autrefois tout entière demeure :

Mais, comme dans le rêve où sans trace, fuit l’heure,

Autrefois c’est hier — autrefois c’est jamais.
Tout ce qui fut ma vie étant mort désormais,

Pour me ressouvenir j’attendrai que je meure.

Jusque-là, puisque tout hormis t’aimer est leurre,

Content de ta pitié, je t’aime et me soumets.
C’est assez que, pareil au lévite du temple,

Tu souffres qu’à genoux je reste et te contemple

O lointaine clarté de mes jours radieux !
O toi qui restes seule et qui fus la première,

Dans mon ciel où tes yeux m’apprirent la lumière

Où ton front éclatant m’a révélé les Dieux !
V
O front marmoréen qu’habile la pensée ;

Noirs cheveux dont la grâce assouplit les flots lourds ;

Yeux cruels dont l’acier jaillit d’un clair velours ;

Noble ligne du col par Phidias tracée ;
Lèvres où le désir bat d’une aile blessée,

Comme un ramier tombant des serres des vautours ;

Epaule dont la neige a les calmes contours

D’une double colline au fond du ciel dressée ;
Vous n’êtes pour jamais, sous mon front désolé

Qu’une image divine et qu’un rêve envolé,

L’amère vision d’un idéal farouche.
Celle dont ces splendeurs font l’éclat immortel

Daigne à peine poser son pied blanc sur l’autel

Qu’à peine avec terreur, ose effleurer ma bouche !
VI
Un mensonge du ciel rend pareille souvent

La splendeur du couchant à celle d’une aurore,

Si bien qu’un chant joyeux monte et s’envole encore

Aux lèvres du pasteur à l’horizon rêvant :
Tel un mirage doux, charmeur et décevant

Ramène à son éveil l’amour dont je t’adore,

Si bien que, de mon cœur, comme au matin sonore,

S’élève un chant d’espoir qu’emportera le vent.
Le déclin du soleil aux pourpres de la grève

Sur son aile de feu n’emporte pas mon rêve.

Si mon rêve eut une aube, il n’a pas de couchant.
Mais j’en sais, comme lui, la douleur immortelle,

Et l’ancienne blessure à mon flanc s’ouvre telle,

Qu’en vain, pour l’endormir, ma bouche tente un chant.
VII
Tu regrettes la plage où la mer se lamente

Et jusqu’à les pieds nus tend ses palmes d’argent.

Tu regrettes la plage et son grand ciel changeant

Que de ses pleurs salés flagelle la tourmente.
Tu regrettes la plage où l’immortelle amante,

Ariadne, dans l’air pleure encore en songeant.

Tu regrettes la plage où le sol indigent

Livre aux faulx du reflux sa moisson écumante.
L’amour a fait mon cœur large comme une mer

Dont le ciel est plus sombre et le flot plus amer.

Une plainte éternelle y murmure sans trêve,
Mais sans tourner vers moi ton front indifférent,

Ni distraire un seul jour, avec son bruit mourant,

Ton oreille attachée aux sanglots de la grève.
VIII
L’an qui s’enfuit attache aux givres éclatants

Un manteau d’or pâli sur les flancs de Latone,

Et la chanson du vent se lève, monotone,

Autour des chênes noirs, squelettes grelottants.
La tristesse du jour aux horizons flottants

Monte avec des langueurs dont mon rêve s’étonne ;

Car c’est sous les grands bois dépouillés par l’automne,

Que je sens mon amour fait d’immortels printemps.
Car des roses sans fin fleurissent sur ta bouche

Et si de leur jardin que tu gardes, farouche,

Exilé, je ne puis que voir les seuils vermeils,
J’en respire, du moins, l’odeur chère et tenace ;

Et, sur mon front qu’en vain l’ombre du jour menace,

Tes yeux ont allumé d’ineffables soleils !
IX
Sur le tombeau des lys à l’horizon couchée,

L’aube mélancolique a tes chères pâleurs,

Et c’est sur ton beau front que l’âme de ces fleurs,

Avant de fuir aux cieux semble s’être penchée.
La flamme intérieure en tes doux yeux cachée

A des feux du matin l’éclat mouillé de pleurs

Et l’insensible écho de lointaines douleurs

Fait gémir, dans ta voix, la plainte de Psychée.
Tout chante le réveil de l’antique beauté

Dans l’épanouissement de grâce et de clarté

Qui fait qu’aux temps païens, seule, Hélène fut belle,
Avec je ne sais quoi de triste et de surpris

De vivre dans ces temps dignes de ton mépris,

Des Olympes défunts ô proscrite immortelle !
X
Cet amour sans espoir m’épouvante, et pourtant

C’est de lui que j’attends mes dernières ivresses.

Sur l’océan calmé des lointaines tendresses

Il brille, dans ma nuit, comme un phare éclatant.
Vers mon désir austère il se penche, apportant

Le sacrilège oubli des divines caresses,

Et, dans un rêve plein de langueurs charmeresses,

Il endort mon esprit douloureux et flottant.
C’est un poison mortel dont se nourrit ma fièvre

Et que tes yeux cruels inclinent à ma lèvre,

Brûlant comme la flamme et pur comme le miel.
Comme un lys vénéneux sous une aube éperdue,

Ta Beauté m’enveloppe, et, voilant l’étendue,

Cache à mes pieds la terre, à mes regards le ciel !
XI
Mon âme est comme un lac immobile et dont l’onde

Sous le fouet des vents n’exhale qu’un doux bruit,

Mystérieux, lointain, plaintif ; et, chaque nuit,

Une image descend dans son ombre profonde.
Comme l’astre d’argent qui, de sa flamme, inonde

L’eau calme où, dans l’azur, son front se double et luit,

Ton front pur et charmant, par mon rêve conduit,

S’y penche avec l’éclat majestueux d’un monde.
Le silence du soir emplit l’immensité ;

Un tel recueillement me vient de ta Beauté

Que j’y cède, vaincu par d’invincibles armes.
Mais qu’un frisson vivant passe dans mes cheveux

Le fantôme adoré se brise en mille feux

Dont le scintillement brille à travers mes larmes.
XII
Sur le deuil de mon cœur cette ivresse flamboie

D’avoir été l’élu qui meurt de ta Beauté.

Aussi haut que ton vol dans l’azur indompté,

J’aurai monté mon cœur pour t’en faire une proie.
L’aigle désespéré qui dans l’éther se noie,

Pour fixer l’astre ardent dont l’orgueil l’a tenté,

Sentant dans ses yeux morts s’éteindre la clarté,

Goûte dans ce martyre une sublime joie.
Il ne regrette pas la paix des pics neigeux

D’où son aile prudente, en ses robustes jeux,

Abattait sur les plaines une large envolée.
A l’aigle foudroyé le sort m’a fait pareil.

Le soleil m’a brûlé, mais j’ai vu le soleil.

Je meurs de ta Beauté, mais je t’ai contemplée !
XIII
Le chant du matin vibre à l’horizon de cuivre

Et sonne le réveil à mes mornes ennuis.

Car les rêves éclos au silence des nuits

Dans les tracas du jour refusent de me suivre.
Dans une ombre éternelle, ah ! que ne puis-je vivre

N’ayant d’autre flambeau que l’éclat dont tu luis,

O spectre doux et cher qui, dès l’aube, me fuis,

Amour désespéré dont tout bas, je m’enivre !
J’aime les soirs pareils à tes sombres cheveux

Et les astres d’argent qui rendent à mes vœux

Les stellaires clartés de ta pâleur divine.
J’aime le soir avec ses troublantes vapeurs

Où mes yeux éblouis de mirages trompeurs

Retrouvent ta Beauté qu’un souvenir devine !
XIV
Comme un souffle se lève aux rives de la plaine

Que vient battre le flot argenté des matins,

S’ouvrant à l’horizon de mes Rêves lointains,

Une aile de parfums m’apporte ton haleine.
Et les enchantements dont toute aurore est pleine

Se confondant en toi sur les cieux incertains,

Ta Beauté resplendit sur les astres éteints,

Comme au bûcher Troyen le fantôme d’Hélène.
O Déesse, apparais et, sous ton pied vainqueur

Tressailleront encor les cendres de mon cœur

Pareil à la cité pour Vénus consumée.
Et le sang rajeuni de mes souvenirs morts

Empourprera la route où tu fuis sans remords

L’inutile tourment de ceux qui t’ont aimée !
XV
Fuyant le ciel menteur des espérances vaines,

Mes jours coulent, muets et lents comme un Léthé.

Un sort inexorable a fait de ta Beauté

La mer vers qui s’en va tout le sang de mes veines.
Sous l’or des Paradis et l’ombre des géhennes,

Il court indifférent, vers toi seule emporté,

Roulant comme un torrent par les vents fouetté,

D’inutiles amours et d’inutiles haines.
Car le but inflexible où tend son cours vermeil,

C’est ta splendeur sereine et pareille au sommeil

Des océans pensifs sur leur couche de grève.
Vers elle s’allanguit son flot capricieux.,

Sentant descendre en soi le mirage des cieux,

Sitôt que ton image y passe dans un Rêve.
XVI
Ta pitié vainement avait fermé l’abîme

Que mon respect muet fait plus grand entre nous.

La terreur de ton front fait ployer mes genoux

Et mon culte tremblant a les effrois d’un crime.
J’affronte la Beauté comme on tente la cime

Qui garde le vertige au fond des cieux jaloux.

C’est sans me rassurer que tes regards sont doux

Et tu restes cruelle en étant magnanime.
Je vis auprès de toi sous un charme mortel,

Laissant mon cœur brûler comme sur un autel

D’où montent des parfums d’encens et de cinname.
Mon amour, que trahit le désir obsesseur

Au néant de ses vœux goûte une âpre douceur

Et, vers ta bouche en fleur, seule, s’en va mon âme.
XVII
Le Rêve est un ami pitoyable aux amants

Qu’a trahis l’espérance et qu’a meurtris la vie.

Par lui, l’image douce à mes regards ravie

Est quelquefois rendue à mes enchantements.
Il réveille le chœur oublié des serments

Et ramène celui des heures qu’on envie,

Baignant de ses clartés Celle par nous servie,

Comme un ostensoir d’or plein de rayonnements !
Heureux qui peut goûter quelque ivresse à ce leurre.

Moi, plus désespéré, l’amour dont je te pleure

Repousse loin de moi les mensonges du ciel.
Quand ta pitié rapide à mon exil fait trêve,

Je te revois toujours plus belle que mon Rêve

Et son néant, par là, m’est rendu plus cruel !
XVIII
Quand vers ton front pensif le nocturne silence

Monte des horizons d’or pâle et de carmin,

Tout entière aux splendeurs du rêve surhumain

Que l’astre aux yeux d’argent sur nos têtes balance,
N’entends-tu pas la voix qui de mon cœur s’élance

Et mes baisers furtifs sangloter sur ta main

Et mon sang, goutte à goutte, arroser ton chemin,

Comme le sang qui perle au fer nu d’une lance ?
L’immensité m’est-elle, à ce point, sans pitié

Que mon âme vers toi s’en aille, par moitié,

L’autre ne me restant que pour souffrir et vivre,
Sans même qu’à la tienne un écho fraternel

Vienne conter tout bas mon tourment éternel

Et que je vais mourir du mal dont je m’enivre !
XIX
Quand le sang des héros, de la terre trempée,

Faisait jaillir des fleurs agréables aux Dieux,

J’eusse aimé, dans l’orgueil des combats radieux,

Tomber, en l’invoquant, sous la lame ou l’épée.
Vers ton front fait pour luire au seuil d’une épopée,

Nés de mon cœur viril grand ouvert sous les yeux,

Des lys eussent tendu leurs rameaux glorieux,

De mon souffle expirant t’eussent enveloppée !
Pourquoi le temps, qui met son ombre et son affront

Au grand Rêve passé, laisse-t-il donc ton front

Briller d’un tel éclat que ce rêve y renaisse ?
Et, rallumant en moi le désir mal dompté,

Laisse-t-il refleurir dans ta noble beauté

Des Dieux que j’ai servis l’immortelle jeunesse !
XX
L’aile rose du jour, en s’ouvrant sur la Terre,

Éparpille un duvet d’or clair à l’horizon ;

L’aigle a brisé son œuf et quitté sa prison.

Le soleil monte aux cieux sa gloire solitaire.
Il laisse l’orient, ouvert comme un cratère,

Tendre encore vers lui sa rouge floraison,

Et lentement s’étendre en une exhalaison

De vapeurs où le vent léger se désaltère.
J’ai porté, dans mon cœur à l’orient pareil,

Mon amour flamboyant et pur comme un soleil

Dont je fus déchiré comme, au matin, la nue.
Mais, tandis qu’au levant l’horizon s’est fermé,

Par d’inutiles feux mon cœur reste enflammé

Et sa blessure encor, saigne béante et nue !
XXI
Sur le chêne où l’automne a mis ses tons de cuivre,

J’ai, du bout d’un couteau, creusé profondément

Ton nom pour le relire, alors qu’au ciel, bramant

Le vent effeuillera la forêt comme un livre.
Sur la vitre où l’hiver a mis ses fleurs de givre

J’ai tracé ton nom cher avec un diamant.

Pour le relire après que le jardin charmant

Sous les tièdes soleils aura cessé de vivre.
Sur mon cœur qui n’a pas d’automne ni d’hiver,

J’ai, d’un outil plus dur que la gemme et le fer,

Gravé ton nom vainqueur et, d’une telle force,
Qu’il saignera toujours, lors même que le temps

Aura brisé la vitre aux dessins éclatants

Et de l’arbre blessé fait revivre l’écorce.
XXII
Comme au jardin maudit dont la pluie et le vent

Ont dispersé les fleurs au sable des allées,

Mon cœur, plein des débris des choses envolées,

N’a gardé du passé qu’un souvenir vivant.
Il est là comme un lys superbe s’élevant

Parmi les lilas morts et les herbes foulées,

Dernier astre des nuits naguère constellées,

Dernier lambeau du Rêve autrefois triomphant.
Au profond de mon être a plongé sa racine ;

Qui veut l’en arracher doit briser ma poitrine.

Bien que pâle, il est fait du meilleur de ma chair.
Le souffle qui le doit faucher d’un grand coup d’aile

Ouvrant enfin les yeux à mon âme fidèle,

Leur apprendra ton nom sacré, cruel et cher !
XXIII
Vers quel infini tend ta Beauté, qu’elle prenne

A chaque jour nouveau des traits plus éclatants ?

Comme un sculpteur épris de son œuvre, le temps,

Sans relâche, en poursuit la grâce souveraine.
Plus grand, l’orgueil du lys fleurit ton front de Reine ;

Plus pur, dans tes yeux luit l’or des astres flottants ;

Et, sur ton col plus lier, en frissons palpitants,

L’ombre de tes cheveux, plus jalouse, se traîne.
On dirait qu’en toi seule, enfin, s’est résumé

Tout ce que les regards des mortels ont aimé

Depuis qu’un souvenir des Dieux hante la terre.
En Toi seule revit l’immortelle splendeur.

Hélas ! Et j’en ai pu mesurer la grandeur

Au deuil qu’elle a laissé dans mon cœur solitaire !
XXIV
Si tu cherches pourquoi mon triste amour s’augmente

De tous les désespoirs que me font tes mépris ;

Si tu cherches pourquoi tout m’est vide et sans prix,

Sauf l’inutile espoir qui, sans fin, me tourmente ;
Si tu cherches pourquoi toujours je me lamente,

Comme un cygne blessé trouble l’air de ses cris ;

Si tu cherches pourquoi tes yeux cruels m’ont pris

Jusqu’au lâche bonheur d’aimer une autre amante ;
Je te dirai : c’est toi qui m’appris la Beauté !

J’en ignorais l’orgueil et la divinité

Avant que d’avoir vu ton radieux visage.
Oui, c’est toi qui m’appris l’idéal sans retour.

Mon esprit s’est ouvert sur ton image, un jour.

Mes yeux se fermeront, un jour, sur ton image !
XXV
Portant d’un cœur plus doux ma douleur plus profonde,

Je veux dire mon mal si bas que mes sanglots,

En mourant à tes pieds comme le bruit des flots,

Te rappellent encor les caresses de l’onde.
Qu’ils ramènent vers toi l’image vagabonde

De ta mer souriante à l’horizon d’îlots

Et du jardin de fleurs où l’argent des bouleaux

Frissonne doucement avant que le vent gronde.
Je veux dire si bas la peine dont je meurs,

Que sa plainte se mêle aux lointaines rumeurs

Dont, par les soirs d’été, ton oreille est charmée.
Je veux que de mes pleurs le murmure soit tel

Que, sans y deviner mon tourment immortel,

D’un immortel amour tu te sentes aimée !
XXVI
Ne cherchant d’autre bien que d’aimer sans salaire,

J’en goûte sans espoir l’amère volupté,

Laissant saigner mon cœur aux pieds de ta Beauté,

Prêt à l’ouvrir plus grand si cela doit le plaire.
Tu peux donc le souffrir sans crainte et sans colère,

Ce triste amour qui borne aujourd’hui sa fierté

A regarder, de l’ombre où tu l’as rejeté,

Rayonner de ton front l’auréole stellaire.
Un dernier honneur reste à mon lâche tourment :

C’est de ne pas troubler de mon gémissement

L’olympique repos où se plaît ta pensée.
Sans implorer de toi l’aumône d’un souci,

Je porterai, du moins, sans demander merci,

L’immortelle douleur de mon âme blessée !
XXVII
Comme un ruisseau d’argent par les fentes d’une urne

Dont l’usure a mordu l’épaisseur par endroits,

La stellaire clarté filtre aux sombres parois

Qui ferment nos regards sur la voûte nocturne.
Tandis qu’à l’horizon Sirius et Saturne,

De flammes couronnés, montent comme deux Rois,

Celle qui, dès longtemps, met mon cœur sur la croix

M’apparaît lentement dans l’ombre taciturne.
Sous les feux amortis des astres fraternels,

Ton image revêt les aspects éternels

Qui m’ont fait le captif éternel de tes charmes.
Le soir, plus que ton âme à mon Rêve clément,

Te rend, cruelle absente, à mes enchantements

Et, d’un souffle attendri, dans mes yeux boit mes larmes.
XXVIII
Pour mon âme en toi renaîtront

Tous les biens que le temps emporte.

Quand l’âme des lys sera morte,

Je la chercherai sur ton front.
Des jours pour défier l’affront

Je sens ma tendresse assez forte ;

Je t’aime d’une telle sorte

Qu’en toi tous mes jours revivront.
Meure donc la pourpre des roses !

D’immortelles métamorphoses

A tes lèvres mettront leur sang !
Car, ô Beauté, fleur solitaire,

Il faut qu’enfin, pour Toi, la Terre,

Jusqu’au bout épuise son flanc !
XXIX
L’or des astres perdus habite les prunelles ;

L’âme des Dieux partis a ton sein pour tombeau ;

Les cieux jaloux voudraient ton regard pour flambeau ;

Ta splendeur fait envie aux gloires éternelles.
L’antique souvenir s’épanouit en elles

De tout ce qui fut grand, de tout ce qui fut beau.

Au vent de tes cheveux flotte encore un lambeau

Des visions d’antan blanches et solennelles !
Je ne t’ai pas maudite au jour de l’abandon.

Ton mal, pareil au mien, t’a valu le pardon.

Si tu m’as fait proscrit je te sais exilée.
Le même sort, pesant sur nos cœurs asservis,

Met ta Patrie ailleurs et la mienne où tu vis,

Et nôtre âme, à tous deux, demeure inconsolée.
XXX
Vers le déclin viril de mes jeunes années,

J’ai marché sans regret, sentant se consumer

En d’inutiles feux ma puissance d’aimer ;

Car tes lèvres se sont, des miennes, détournées.
J’ai vu, comme des fleurs loin du soleil fanées,

Mes tendresses sans but lentement se fermer

Et mon cœur sans espoir pas à pas s’abîmer

Dans l’ombre qui confond les choses condamnées.
Aujourd’hui je suis vieux, mais je ne me plains pas

D’avoir jeté mon être en poussière à tes pas.

Cet orgueil me suffit de t’avoir bien servie.
Mon amour impayé ne te réclame rien.

Je mourrai satisfait, car ta Beauté vaut bien

Qu’on immole à ses pieds le meilleur de sa vie.
XXXI
Un tel enchaînement enveloppe ton être,

Tyrannique et subtil comme un parfum léger,

Et qui semble, sur Toi, doucement voltiger

Que, rien qu’à t’approcher, sa douceur me pénètre.
Sur chacun de tes pas quelque fleur semble naître

Des mystiques jardins où l’esprit va songer,

Quand le Rêve l’emporte et le fait voyager

Vers les cieux inconnus qu’il a cru reconnaître.
D’où ce charme éperdu vient-il à ta Beauté ?

De ton âme ou d’un monde autrefois habité ?

De Toi-même ou du chœur des choses enivrées ?
On dirait que pour Toi seule leur grâce vit

Et que l’Amour tremblant de tout ce qui te vit

Chante et palpite autour de tes formes sacrées !
XXXII
O lâcheté d’un cœur pourtant las de souffrir !

Révolte sans honneur de mon âme éperdue !

Avant qu’à mes regrets ta pitié m’eût rendue,

Je te le dis tout bas : j’avais peur de mourir !
Sous l’adieu du soleil la fleur peut se flétrir,

Enfermant dans son sein la caresse attendue.

A mon fidèle amour la grâce était bien due

De te revoir encore et mon ciel s’attendrir.
Maintenant que j’ai bu, dans tes yeux sans colère,

— De mon long souvenir, cher et tardif salaire, —

Le viatique doux dont j’étais altéré,
Mon âme peut partir pour sa route éternelle,

Portant, comme l’étoile, un feu qui brûle en elle

Et dont rien n’éteindra l’embrasement sacré.
XXXIII
Comme une feuille morte à ta robe attachée,

Qui crie en se brisant aux sables du chemin,

Mon cœur que de la vie a détaché ta main

Exhale sur tes pas une plainte cachée.
Sur lui, sans le flétrir, l’automne s’est penchée,

Teignant les bois obscurs d’or pâle et de carmin ;

Palpitant et captif d’un rêve surhumain,

Il a suivi la route obstinément cherchée.
Jaloux de sa torture, épris de son tourment.

Le temps s’est à son mal acharné vainement

Et l’épine épuisa sa morsure savante.
Déchiré par la ronce, il a longtemps saigné

Avant que, jusqu’à lui, ton regard ait daigné

Détourner un instant sa pitié triomphante.
XXXIV
Dans la poussière fauve où l’horizon se noie,

Où se perd le dernier rayon du jour penchant,

Mêlant sa chère flamme aux flammes du couchant,

Ton beau regard parfois sur mon Rêve flamboie.
Est-ce un adieu lointain que ta pitié m’envoie

Du ciel où mon espoir lassé va te cherchant ?

Mais dans mon cœur ouvert il laisse, en le touchant,

Une mélancolique et douloureuse joie !
Vers les rives du ciel qu’on ne distingue plus

La lumière qu’emporte un rythmique reflux

De son écume d’or éclabousse la nue,
Battant la poupe en feu du vaisseau de clarté

Où, sous un dais d’azur, m’apparaît ta Beauté

Qui de mon triste amour enfin s’est souvenue !
XXXV
Le grand lac solitaire où l’image des cieux

Descend et resplendit au fond de l’eau dormante,

En vain, pour retenir la vision charmante,

Ploie, ainsi que des bras, ses roseaux gracieux.
Des astres éternels le vol silencieux

Passe, sans l’échauffer dans son sein qu’il tourmente.

Et c’est pourquoi sa voix, dans la Nuit, se lamente

De n’enfermer en soi qu’un reflet captieux
Pareille au flot pensif, mon âme porte en elle

Comme celle des cieux une image éternelle

Depuis que sur mes jours ton front s’est incliné.
Elle pleure, sentant qu’une plus longue route

La sépare de Toi que la nocturne voûte

Du grand lac, point d’argent dans l’infini perdu !
XXXVI
Comme un cygne blessé monte d’un vol plus lent

Traînant un point de pourpre aux blancheurs de sa plume,

Le jour d’hiver se lève, et, sur son flanc s’allume

Un soleil sans rayon fait comme un trou sanglant.
En vain, pour l’égarer dans son chemin troublant,

Les gloires du zénith s’enveloppent de brume ;

Comme au toucher des flots un fer rouge qui fume

Dans l’océan des cieux il s’enfonce brûlant.
Le feu de son désir le consumant sans trêve,

Découronné du monde immortel de son Rêve,

A l’astre incandescent mon cœur triste est pareil.
Vers la cime farouche où la Beauté recule

Il tend, perdu dans les pâleurs d’un crépuscule,

Douloureux et saignant sur son chemin vermeil.
XXXVII
Le mal, en effleurant ta Beauté, l’a parée

Et d’un charme allangui ravivé ta pâleur ;

Car à tout ici-bas, jusques à la douleur,

Comme un bien sans pareil la splendeur est sacrée.
De toi — fléau clément — elle s’est retirée

— Telle qu’aux jours d’été l’orage laisse un pleur

Comme un pur diamant aux cimes d’une fleur —

Rajeunissant ton front d’une larme égarée.
La souffrance est pareille à la flamme des cieux

Qui brûle tout, hormis les métaux précieux

Que rajeunit le temps en ses métamorphoses.
Telle elle aura passé sur ton front triomphant

Que des Dieux immortels le souvenir défend,

Et qu’adore tout bas l’amour vague des choses.
XXXVIII
Tes yeux ont des langueurs divines où s’émousse

Le désir immortel dont je suis consumé.

Oubliant l’âpre ardeur dont jadis je t’aimai,

Ma tendresse pour toi se fait sereine et douce.
Le flot est moins amer qui sur tes pas me pousse ;

C’est à tes pieds qu’il meurt impuissant et pâmé,

Et j’y voudrais coucher mon amour désarmé

Comme un vivant lapis dont Mai fleurit la mousse.
Mais, pour se moins trahir, il n’est que plus profond

Le mal délicieux que tes regards me font

Quand leur charme mourant me trouble et me pénètre.
Plus je me sens vaincu, mieux je me sens à toi,

Plus sur mon front dompté je sens peser la loi

Qui fit mon être obscur l’esclave de ton Être !
XXXIX
Je suis resté près de ta porte,

Triste, solitaire et rêvant ;

Telle une feuille que le vent

Au pied d’un lys en fleur apporte.
Elle y demeure, chose morte,

Sans que, du calice vivant,

Un pleur de l’aube l’abreuvant

Se détache et la réconforte.
J’ai quitté ton seuil bien-aimé,

Sans que mon cœur fût ranimé

Par un sourire de ta bouche.
Et pourtant mon espoir défunt

Y conserve encor le parfum

Qu’on prend à tout ce qui te touche.
XL
Lorsque la mort viendra me toucher de son aile,

Je veux que, se penchant sur moi, ton front divin

Verse à mon cœur troublé, comme un généreux vin,

La force d’affronter cette heure solennelle.
Elle m’apparaîtra douce et portant en elle

Tous les biens qu’ici-bas j’avais cherchés en vain,

Et mon âme, arrachée au terrestre levain,

Montera, blanche hostie, à sa route éternelle.
Sous le rayonnement de ta chère Beauté,

Mes yeux se fermeront sur le rêve enchanté

D’un paradis ouvert devant mes destinées.
Sur mon sein sans haleine on posera les fleurs,

Comme moi-même alors pâles et sans couleurs

Que tu pris sur ton sein et que tu m’as données !

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Sonnets d’amour
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