Dernier madrigal

Quand je mourrai, ce soir peut-être,

Je n’ai pas de jour préféré,

Si je voulais, je suis le maître,

Mais… ce serait mal me connaître,

N’importe, enfin, quand je mourrai.
Mes chers amis, qu’on me promette

De laisser le bois… au lapin,

Et, s’il vous plaît, qu’on ne me mette

Pas, comme une simple allumette,

Dans une boîte de sapin ;
Ni, comme un hareng, dans sa tonne ;

Ne me couchez pas tout du long,

Pour le coup de fusil qui tonne,

Dans la bière qu’on capitonne

Sous sa couverture de plomb.
Car, je ne veux rien, je vous jure ;

Pas de cercueil ; quant au tombeau,

J’y ferais mauvaise figure,

Je suis peu fait pour la sculpture,

Je le refuse, fût-il beau.
Mon voeu jusque-là ne se hausse ;

Ça me laisserait des remords,

Je vous dis (ma voix n’est pas fausse) :

Je ne veux pas même la fosse,

Où sont les lions et les morts.
Je ne suis ni puissant ni riche,

Je ne suis rien que le toutou,

Que le toutou de ma Niniche ;

Je ne suis que le vieux caniche

De tous les gens de n’importe où.
Je ne veux pas que l’on m’enferre

Ni qu’on m’enmarbre, non, je veux

Tout simplement que l’on m’enterre,

En faisant un trou… dans ma Mère,

C’est le plus ardent de mes voeux.
Moi, l’enterrement qui m’enlève,

C’est un enterrement d’un sou,

Je trouve ça chic ! Oui, mon rêve,

C’est de pourrir, comme une fève ;

Et, maintenant, je vais dire où.
Eh ! pardieu ! c’est au cimetière

Près d’un ruisseau (prononcez l’Ar),

Du beau village de Pourrière

De qui j’implore une prière,

Oui, c’est bien à Pourrières, Var.
Croisez-moi les mains sous la tête,

Qu’on laisse mon oeil gauche ouvert ;

Alors ma paix sera complète,

Vraiment je me fais une fête

D’être enfoui comme un pois vert.
Creusez-moi mon trou dans la terre,

Sous la bière, au fond du caveau,

Où tout à côté de son père,

Dort déjà ma petite mère,

Madame Augustine Nouveau.
Puis… comblez-moi de terre… fine,

Sur moi, replacez le cercueil ;

Que comme avant dorme Augustine !

Nous dormirons bien, j’imagine,

Fût-ce en ne dormant… que d’un oeil.
Et… retournez-la sur le ventre,

Car, il ne faut oublier rien,

Pour qu’en son regard le mien entre,

Nous serons deux tigres dans l’antre

Mais deux tigres qui s’aiment bien.
Je serai donc avec les Femmes

Qui m’ont fait et qui m’ont reçu,

Bonnes et respectables Dames,

Dont l’une sans coeur et sans flammes

Pour le fruit qu’elles ont conçu.
Ah ! comme je vais bien m’étendre,

Avec ma mère sur mon nez.

Comme je vais pouvoir lui rendre

Les baisers qu’en mon âge tendre

Elle ne m’a jamais donnés.
Paix au caveau ! Murez la porte !

Je ressuscite, au dernier jour.

Entre mes bras je prends la Morte,

Je m’élève d’une aile forte,

Nous montons au ciel dans l’Amour.
Un point… important… qui m’importe,

Pour vous ça doit vous être égal,

Je ne veux pas que l’on m’emporte

Dans des habits d’aucune sorte,

Fût-ce un habit de carnaval.
Pas de suaire en toile bise…

Tiens ! c’est presque un vers de Gautier ;

Pas de linceul, pas de chemise ;

Puisqu’il faut que je vous le dise,

Nu, tout nu, mais nu tout entier.
Comme sans fourreau la rapière,

Comme sans gant du tout la main,

Nu comme un ver sous ma paupière,

Et qu’on ne grave sur leur pierre,

Qu’un nom, un mot, un seul, GERMAIN.
Fou de corps, fou d’esprit, fou d’âme,

De coeur, si l’on veut de cerveau,

J’ai fait mon testament, Madame ;

Qu’il reste entre vos mains de femme,

Dûment signé : GERMAIN NOUVEAU.

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