Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre

Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre

Anime la fin d’un beau jour,

Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.

Peut-être est-ce bientôt mon tour ;

Peut-être avant que l’heure en cercle promenée

Ait posé sur l’émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,

Son pied sonore et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera ma paupière !

Avant que de ses deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,

Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,

Escorté d’infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.

………………………………………..
Quand au mouton bêlant la sombre boucherie

Ouvre ses cavernes de mort,

Pâtre, chiens et moutons, toute la bergerie

Ne s’informe plus de son sort.

Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine,

Les vierges aux belles couleurs

Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine

Entrelaçaient rubans et fleurs,

Sans plus penser à lui, le mangent s’il est tendre.

Dans cet abîme enseveli,

J’ai le même destin. Je m’y devais attendre.

Accoutumons-nous à l’oubli.

Oubliés comme moi dans cet affreux repaire,

Mille autres moutons, comme moi

Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire,

Seront servis au peuple-roi.

Que pouvaient mes amis ? Oui, de leur main chérie

Un mot, à travers les barreaux,

Eût versé quelque baume en mon âme flétrie ;

De l’or peut-être à mes bourreaux…

Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre.

Vivez, amis ; vivez contents.

En dépit de Bavus, soyez lents à me suivre ;

Peut-être en de plus heureux temps

J’ai moi-même, à l’aspect des pleurs de l’infortune,

Détourné mes regards distraits ;

A mon tour aujourd’hui mon malheur importune.

Vivez, amis ; vivez en paix.
Que promet l’avenir ? Quelle franchise auguste,

De mâle constance et d’honneur

Quels exemples sacrés, doux à l’âme du juste,

Pour lui quelle ombre de bonheur,

Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles,

Quels pleurs d’une noble pitié,

Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,

Quels beaux échanges d’amitié

Font digne de regrets l’habitacle des hommes ?

La Peur blême et louche est leur dieu.

Le désespoir !… le fer. Ah ! lâches que nous sommes,

Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu.

Vienne, vienne la mort ! Que la mort me délivre !

Ainsi donc mon coeur abattu

Cède au poids de ses maux ? Non, non, puissé-je vivre !

Ma vie importe à la vertu ;

Car l’honnête homme enfin, victime de l’outrage,

Dans les cachots, près du cercueil,

Relève plus altiers son front et son langage,

Brillants d’un généreux orgueil.

S’il est écrit aux cieux que jamais une épée

N’étincellera dans mes mains,

Dans l’encre et l’amertume une autre arme trempée

Peut encor servir les humains.

Justice, vérité, si ma bouche sincère,

Si mes pensers les plus secrets

Ne froncèrent jamais votre sourcil sévère,

Et si les infâmes progrès,

Si la risée atroce ou (plus atroce injure !)

L’encens de hideux scélérats

Ont pénétré vos coeurs d’une longue blessure,

Sauvez-moi ; conservez un bras

Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.

Mourir sans vider mon carquois !

Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange

Ces bourreaux barbouilleurs de lois,

Ces tyrans effrontés de la France asservie,

Égorgée !… Ô mon cher trésor,

Ô ma plume ! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie !

Par vous seuls je respire encor.

…………………………..
Quoi ! nul ne restera pour attendrir l’histoire

Sur tant de justes massacrés ;

Pour consoler leurs fils, leurs veuves, leur mémoire ;

Pour que des brigands abhorrés

Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance ;

Pour descendre jusqu’aux enfers

Chercher le triple fouet, le fouet de la vengeance,

Déjà levé sur ces pervers ;

Pour cracher sur leurs noms, pour chanter leur supplice !

Allons, étouffe tes clameurs ;

Souffre, ô coeur gros de haine, affamé de justice.

Toi, Vertu, pleure si je meurs.

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Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
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