Sanculottide

(Avril 1831)
À Joseph Bouchardi, graveur.


Sic locutus est leo,

PHED.
Il y a quelque chose de terrible dans

l’amour sacré de la patrie.

SAINT-JUST.
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !
Je suis content de toi, tu comprends bien mon âme,

Tu guettes ses désirs ; quand mon bras assassin

Te pousse, en l’air traçant une courbe de flamme,

Tu vas à la victime et lui cribles le sein.
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !
Aujourd’hui, ta vengeance est nourrie ; une proie

A roulé devant toi sur la place… est-ce pas ?

C’est bonheur de frapper un tyran ? et, de joie

Crier entre ses os, d’y clouer le trépas !
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors ! bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !
La mort d’un oppresseur, va, ne peut être un crime :

On m’enchaîna petit, grand j’ai rompu mes fers.

Le peuple a son réveil ; malheur à qui l’opprime !

Il mesure sa haine au joug, aux maux soufferts.
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ! sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !
Tiens ! vois-tu ce bonnet penché sur ma crinière ?

Dans le sang d’un espion trois fois je l’ai jeté :
Sa pourpre me sourit ; qu’il soit notre bannière !

Qu’il soit le casque saint de notre Déité !
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !
Suspendue à mon flanc, bien aimée estocade,

Toujours tu sonneras… je baise ton acier !

Et, d’opimes joyaux, même dans la décade,

Couverte tu seras comme un riche coursier.
Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,

Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !

Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,

Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

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