La plaine (I)

Je veux mener tes yeux en lent pèlerinage

Vers ces loins de souffrance, hélas ! où depuis quand,

Depuis quels jours d’antan, mon coeur fait hivernage !
C’est mon pays d’immensément,

Où ne croît rien que du néant,

Battu de pluie et de grand vent.
C’est mon pays de long linceul.

Mes rivières y font de lents serpents

D’eau jaune à travers de grands pans

De terrains planes et rampants.
C’est mon pays sans un seul pli, un seul,

C’est mon pays de grand linceul.
Quelques rares hérons, au bord de marais faux,

Quelques pauvres hérons, dans leur bec en ciseaux,

Tordent, au soir tombant, des vers et des crapauds.
Et quelques vols parfois de corneilles lointaines

Avec de grands haillons d’ailes, grincent des haines

Aux quatre coins des longues plaines.
C’est mon pays d’immensément,

Où mon vieux cœur morne et dément,

Battu de pluie et de grand vent,

Comme un limon, moisit dormant.
Mes villages au clair – depuis quel temps ? -

Et mes cloches vers les vaisseaux partants

Et mes vergues et mes mâts exaltants

Ils sont au fond – depuis quel temps ? -

D’estuaires de plomb et de bas-fonds d’étangs ?
Mes villages d’enfance et de fierté,

Mes villages de joie et de tours de fierté,

Ils ont sombré – depuis quels soirs ? -

D’équinoxes de cuivre en des cieux noirs ?
C’est non pays d’immensément

Où ne croît rien que du néant

Battu de pluie et de grand vent.
La toujours uniformité des jours

Rabaisse en moi le moindre effort

Levé, soit vers la vie ou vers la mort.
Ne plus même crier – mais croupir là toujours

Comme un cadavre en or de proue

En de la vase et de la boue ;

Ne plus même sentir cette douleur

Héroïque de son malheur ;

Rien – que la main de sa rancoeur,

Etendre un aujourd’hui de coeur

Morne, vers un demain qui sera morne aussi,

Le même qu’hier – et qui toujours comme aujourd’hui

Étendra morne et morne encore

Le lendemain vers l’autre aurore.
C’est mon pays d’immensément,

Où ne croît rien que du néant,

Battu de pluie et de grand vent,

Autour de quoi tournent l’ennui de fer

Et les mécaniques des nuits d’hiver.

Et les bâillements des astres et les cieux noirs

En deuil de tant de soirs

Depuis des tas d’années

D’habitudes agglutinées.
Et serais-je toujours l’enseveli

De ces landes d’immense oubli ?

Celui pour qui ces vols de haines

Aux quatre coins des longues plaines,

Grincent depuis quels temps, leurs cris toujours les mêmes ?

Celui dont les hérons, la nuit,

Dont les maigres hérons, droit sur la dune,

Avalent, aux minuits de lune,

Immensément, les vers et les bêtes d’ennui.
Et maintenant tes yeux savent ces loins de plage

Où mon si morne coeur, hélas ! – et depuis quand ? -

Depuis quels jours d’antan fait hivernage.

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La plaine (I)
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