Quand je lis ton histoire héroïque, Ô Vengeur !

Mon cœur français tressaille, et je deviens songeur.
Ce fut un fier tableau dans un immense cadre :

Un seul vaisseau luttant contre toute une escadre,

Troué par les boulets, vaincu, désemparé,

Qui, parmi les horreurs d’un combat effaré,

Et pendant que le feu ronge son oriflamme,

Au sein d’un tourbillon de fumée et de flamme,

S’abîme en pleine mer avec ses matelots

Comme un soleil sanglant qui plonge dans les flots,

Cela semble un feuillet de la légende antique.

Le drame est saisissant ! Pour scène l’Atlantique ;

Pour décor l’horizon des mornes océans ;

Pour acteurs ces trois-ponts avec leurs mâts géants,

Lançant à plein sabords la mitraille et la bombe ;

Et, penché sur le gouffre où descend l’hécatombe,

Toujours fier d’assister à ces chocs surhumains,

Pour spectateurs, un monde au loin battant des mains !
Ton sort fut plus modeste, ô ma pauvre Atalante !

Ce n’est pas une mer que ta chute ensanglante ;

Nulle armée en tes flancs étroits ne s’engloutit ;

Un théâtre moins vaste, un cadre plus petit

Donnèrent un éclat moindre à ta fin stoïque ;

Mais qui dira lequel est le plus héroïque

― Quels que soient les échos qu’ils aient fait retentir ―

Du grand homme mourant ou de l’obscur martyr ?
On touchait à la fin de la lutte sans trêve.

Er pave fulgurante échouée à la grève,

L’Atalante, enfermée en un cercle de feu,

Luttait depuis l’aurore à la grâce de Dieu.

Trois gros vaisseaux anglais la foudroyaient ; et seule,

Contre cent vingt canons chargés jusqu’à la gueule

Et vomissant sur elle une averse de fer,

L’Atalante échouée affrontait cet enfer.
Vauquelain, un héros qu’eût envié la Grèce,

Défendant jusqu’au bout sa corvette en détresse,

Au seul mât que n’eût point rasé le tourbillon,

Dans la tempête avait cloué son pavillon.

Et, sombre, il regardait beaupré, chaînes, cordages,

Grands huniers en lambeaux, lourds éclats de bordages,

Vergues et galhaubans, guindeaux, câbles, crampons,

Sous les chocs meurtries qui labouraient les ponts,

Avec des cliquetis horribles de ferrailles,

Pêle-mêle sauter dans des vols de mitrailles.
Sur le vaisseau mourant rien qui ne soit atteint.

De ses seize canons le dernier s’est éteint,

En jetant je ne sais quel hoquet d’agonie.

― Commandant, dit quelqu’un, la bataille est finie ;

La sainte-barbe est vide, et je suis seul debout ! ―

Et l’artilleur blessé s’affaissa tout à coup,

Laissant Vauquelain seul sur l’épave croulante

Qui, le matin encor, se nommait l’Atalante.
L’incendie attaquait le vaisseau par l’avant.

Alors, du grand désastre unique survivant,

Au pied du tronçon noir où la bannière blanche

Claquait encore au vent de la sombre avalanche,

Le vaincu du destin se coucha pour pleurer.
Quelques instants plus tard, quand, pour s’en emparer,

L’amiral ennemi, du pont de sa chaloupe,

De l’Atalante en feu se hissa sur la poupe :
- Capitaine, dit-il, compliments superflus !

Que font donc vos marins que vous ne tirez plus ?
- Point de poudre, monsieur ! S’il m’en restait une once,

Mes pistolets seraient chargés… de la réponse !
- Alors pourquoi ne pas amener pavillon ?

À ces mots Vauquelain bondit sous l’aiguillon :
- Amener pavillon ! cria-t-il ; par la foudre,

Amiral, vous avez du plomb et de la poudre,

Vous, n’est-ce pas ? Eh bien, tuez-moi sans merci ;

Car, avant d’amener le drapeau que voici,

Je subirai cent fois la mort la plus vulgaire !…

Le prisonnier eut tous les honneurs de la guerre.

Non seulement il fut remis en liberté,

Mais même on ordonna qu’un vaisseau fût frété,

Qui devait, noble hommage à sa haute vaillance,

Le conduire, à son choix, dans un des ports de France.
Hélas ! le fier héros, ô France, tu le sais,

Devait tomber plus tard sous un poignard français.

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L’Atalante
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