I
Les cloches ont de vastes hymnes,

Si légères dans l’aube,

Qu’on les croirait en robes

De mousseline ;

Robes des cloches balancées,

Cloches en joie et qui épanchent

Une musique blanche ;

Ne sont-ce pas des mariées

Ou des Premières Communiantes

Qui chantent ?
Chaque cloche s’ébranle à son tour ;

Elle sort de sa tour,

Robe de mousseline,

Son en marche qui n’est pas sûr,

Mais doucement chemine ;

Puis s’enhardit et s’accélère

Dans la nouveauté de l’azur

Dont la soie indécise est faite pour lui plaire.
Toutes les cloches s’agglomèrent

Comme des Communiantes,

Lentes et rayonnantes,

Dans leurs blancheurs qui font une clarté lunaire.
Tant de cloches ! Il y en a

Qui doucement prient ;

Leurs chants ont l’air d’Avé Maria

Psalmodiés à des orgues fleuries.
D’autres passent, se survivant ;

On dirait le sillage,

Dans le vent,

De quelques cygnes en voyage.
Car les cloches en voyageant

À travers l’aube n’épanchent

Qu’une musique blanche ;

Ô les douces cloches neigeant !

Sont-ce les fleurs d’un verger

Où l’avril irradie ?

Peut-être aussi qu’il a neigé

Des hosties ?
C’est toute une blancheur qui tombe,

En ouatant son bruit ;

Et n’est-ce pas la colombe du Saint-Esprit

? Planement de colombe ! ?

Qui, pour récompenser les âmes de leurs zèles,

Laisse choir dans chacune un écho de ses ailes ?
II
D’autres cloches sont des béguines

Qui sortent, l’une après l’autre, de leur clocher,

Tel que d’un couvent, à matines,

Et se hâtent en un cheminement frileux

Comme s’il allait neiger,

Cloches cherchant les coins de ciel qui restent bleus.
Il en est, en robes de bronze,

Qui tintent, tintent ;

Et s’éloignent, geignant des plaintes indistinctes,

Et des demandes sans réponse.
Il en est qui vivotent seules,

Comme des aïeules,

Dans la tristesse et le brouillard ;

Et qui ont toujours l’air,

Dans l’air,

De suivre un corbillard.
D’autres encor sont des cloches épiscopales

Qui, dans les brumes pâles,

Ont le mépris des carillons légers,

Trop frivoles vraiment, vraiment trop passagers ;

Et, pour les absorber, elles font violence

? En un grand tintement final ?

À l’air qui tremble d’avoir mal

Et frappent, comme à coups de crosse, le Silence.
III
Au-dessus des rumeurs, la cloche chante… Écoute !

Parmi l’isolement on la voit comme à nu.

Son de l’Éternité tout à coup reconnu…

Mon âme a mérité la cloche et l’entend toute,

Puisqu’en elle a cessé la Vie et son bruit vain ;

Récompense pour l’âme en paix qui la recueille

? Automne de musique en allé feuille à feuille… ?

Car, tandis qu’on l’écoute, on redevient divin.
IV
Luxe légué des vieilles villes,

Des cloches, l’air dolent,

Ouvrent des écrins dans le firmament :

Sons comme des gemmes encastrées,

Parures de Joyeuse-Entrée,

Et carillons dont les perles se désenfilent.
Allègres tintements

Qui sont de l’or torrentiel,

Ou de vivaces diamants

Allumant leurs facettes

Sur le velours, d’un bleu fané, du ciel.
Les cloches vident des cassettes

Dont tinte en scintillante averse le trésor ;

Doux angélus, tocsin ou sonneries,

Ce sont, dans l’air du soir,

De ruisselantes pierreries

S’évadant d’on ne sait quels diadèmes d’or,

Couronnes de musique au front des clochers noirs !
V
La cloche ne sonne

Pour personne.
Vieille cloche dans son beffroi,

La cloche a peur, la cloche a froid ;

Et ses sons semblent les halos

Du cadran qui, sur la tour, hante

Comme un clair de lune qui chante.
La cloche ne sonne

Pour personne.
La cloche fut jeune jadis ;

Ses chants tombaient comme des lis

Sur les eaux souriantes ;

Dans l’air de la ville elle était

Une Première Communiante

Qui passait tout en blanc et chantait.
La cloche ne sonne

Pour personne.
Elle allait visiter les tours

Dans ce temps-là, l’une après l’une ;

Et se baigner au Lac d’Amour

Où les doux nénuphars émergent ;

Et dormir le soir dans la lune

Qui est un blanc dortoir de vierges.
La cloche ne sonne

Pour personne.
La voici valétudinaire,

Même aux tièdes matins d’août ;

Elle n’a plus l’âge d’être poitrinaire ;

Mais, dans l’air qui la vit vieillir,

Ses sons sont les accès de toux

D’une souffrante aïeule

Qui va bientôt mourir

Et s’afflige d’être si seule…
La cloche ne sonne

Pour personne.
VI
Ah ! ces cloches et cette pluie

Qui se sont obstinées,

Toute la journée,

Et sur mon âme, ensemble, appuient !
Je rêve de très tristes choses,

D’une orpheline avec sa camériste…

Comme la vie est triste

Vue ainsi à travers de la pluie et des cloches !
Tout est fané, tout est défunt !

Ah ! cette pluie et ces cloches qui sont complices !

Dans mon âme grise

Elles ne font plus qu’un…
La cloche décroît, tandis que s’accroît

La pluie fine ;

Et dans mon âme, alors, on dirait qu’il pleuvine

En gouttes de son froid.
VII
Alleluia ! Cloches de Pâques !
C’est fini la semaine en larmes,

Le tombeau du Vendredi Saint,

Et le crucifix ceint

De violettes de Parme,

Et le plain-chant avec ses chants élégiaques !
Alleluia ! Cloches de Pâques !
Les cloches moururent un peu.

Était-ce aussi d’un coup de lance,

Comme leur dieu ?

Elles avaient dormi trois jours

Au tombeau du silence…
Chacune s’éveille à son tour,

Combien faible, combien pâlie

D’avoir été ensevelie ;

Et, comme d’un sépulcre, elle sort de sa tour !

Toutes chantent, ressuscitées,

Et l’aube en est plus argentée

À la place, dans l’air, où leur vol s’appuya…
Cloches de Pâques ! Alleluia !
Elles semblent en robes blanches,

Cloches qui s’endimanchent ;

Même celles des vieux clochers

Ont l’air d’avoir mis des tulles légers

Sur leurs jupes de bronze opaques.
Alleluia ! Cloches de Pâques !
Une procession s’organise dans l’air,

Déjà compacte et priante ;

Procession des cloches

Qui s’accélère :

Cloches qui sont des Communiantes,

Cloches comme des Croisés qui chevauchent,

Cloche grave comme l’Évêque sous le dais,

Cloches chantant comme des basses ;

Puis c’est un arrêt presque humain

De toutes les chantantes cloches en chemin,

Comme si les attendait,

À un carrefour de l’espace,

Un reposoir orné de tulle et de thuyas.
Cloches de Pâques ! Alleluia !
Ces cloches dans l’air balancées

Sont nos robes, d’enfant, recommencées,

Toutes les candeurs que nous avons eues

Mortes ? et ressuscitées,

Comme Jésus.

Ah ! notre vie ainsi ébruitée !

C’est le passé déjà si vague

Qui s’en revient, qui se rapproche ;

Et, dans notre âme aussi, ressuscitent des cloches…
Alleluia ! Cloches de Pâques !

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Les Cloches
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