Le Pâtre de la nuit

De qui surveillait-il les troupeaux ? On ne sait.
Mais, chaque soir, à l’heure où le soleil baissait,

Sur le Roc-Trévézel on le voyait paraître,

Debout, dans l’attitude immobile d’un prêtre

En oraison devant l’Esprit de ce haut-lieu…

Le couchant s’éteignait dans le firmament bleu

Et les ombres des monts, en nappes déroulées

Du front chauve des cairns au sein vert des vallées,

S’épandaient comme un fleuve aux larges eaux, sans bruit

Que buvait cette mer de ténèbres – la nuit.
***
Alors, tandis qu’épars sur les gazons des pentes

Erraient les boucs lascifs et les chèvres grimpantes,

Lui, l’homme, il entonnait, pour se sentir moins seul,

Quelque chant qu’un aïeul apprit à son aïeul.

L’air en était si pur, si fervent et si tendre

Que les tourbiers du Yeun s’attardaient à l’entendre,

Heureux de respirer dans l’espace muet

Le peu de songe humain qu’il y perpétuait.
***
Or, un soir, la complainte à peine commencée

Suspendit tout d’un coup son vol, l’aile cassée

Un silence panique enveloppa les cieux ;

Ressaisis par la peur primitive, anxieux

De cet abîme noir, sans vie et sans haleine,

Ce fut en vain que les chemineurs de la plaine

Réclamèrent aux monts les accents du chanteur.

Il se tenait toujours debout sur la hauteur,

Mais l’âme indifférente aux êtres comme aux choses.
Et sa voix gisait morte entre ses lèvres closes.
***
On raconta plus tard que, rêveur éveillé,

La nuit, ô pâtre élu, t’avait émerveillé

En laissant à tes yeux choir ses ultimes voiles…

Tu fus celui qui, le premier, vit les étoiles

Décrocher des arceaux du ciel leurs lampes d’or

Et dans l’éther béant monter, monter encor,

Sans fin, – tel un cortège innombrable de vierges

Allant à quelque autel d’en-haut vouer leurs cierges

Par delà des azurs insoupçonnés d’en bas.

Une immense harmonie accompagnait leurs pas,

Selon les lois d’un rythme inconnu de la terre…

Ainsi te fut, dit-on, révélé le mystère

Dont nul autre avant toi n’avait été troublé :

Le vide universel s’était soudain peuplé,

Les mondes en chantant traversaient l’étendue.
Et, devant leur chanson, la tienne s’était tue.

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Le Pâtre de la nuit
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