Albertus, 02 – XI à XX

XI
Poudreux entassement de machines baroques

Dont l’œil ne peut saisir les contours équivoques,

Et de bouquins, sans titre en langage chrétien !

Tohu-bohu ! Chaos où tout fait la grimace,

Se déforme, se tord, et prend une autre face ;

Glace vue à l’envers où l’on ne connaît rien,

Car tout est transposé. Le rouge y devient fauve,

Le blanc noir, le noir bleu ; jamais sous une alcôve

Smarra n’a dessiné de fantômes plus laids.

C’est la réalité des contes fantastiques,

C’est le type vivant des songes drôlatiques ;

C’est Hoffmann, et c’est Rabelais !
XII
Pour rendre le tableau complet, au bord des planches

Quelques têtes de morts vous apparaissent blanches,

Avec leurs crânes nus, avec leurs grandes dents,

Et leurs nez faits en trèfle et leurs orbites vides

Qui semblent vous couver de leurs regards avides.

Un squelette debout et les deux bras pendants,

Au gré du jour qui passe au treillis de ses côtes,

Que du sépulcre à peine ont désertés les hôtes,

Jette son ombre au mur en linéaments droits.

En entrant là, Satan, bien qu’il soit hérétique,

D’épouvante glacé, comme un bon catholique

Ferait le signe de la croix.
XIII
Et pourtant cet enfer est un ciel pour l’artiste.

Teniers à cette source a pris son Alchimiste,

Callot bien des motifs de sa Tentation ;

Goethe a tiré de là la scène tout entière

Où Méphistophélès mène chez la sorcière

Faust, qui veut rajeunir, boire la potion.

— L’illustre baronnet sir Walter Scott lui-même

(Jedediah Cleishbotham) y puisa plus d’un thème.

— Ce type qu’il répète infatigablement,

Meg de Guy Mannering, ressemble à s’y méprendre

À notre Véronique, — il n’a fait que la prendre

Et déguiser le vêtement.
XIV
Le plaid bariolé de tartan et la toque

Dissimulent la jupe et le béguin à coque.

L’Écosse a remplacé la Flandre ; — voilà tout.

Ensuite il m’a volé, l’infâme plagiaire,

Cette description (voyez son Antiquaire),

Le chat noir, — Marius sur ces restes debout ! —

Et mille autres détails. Je le jurerais presque,

Celui que fit l’hymen du sublime au grotesque,

Créa Bug, Han, Cromwell, Notre-Dame, Hernani,

Dans cette hutte même a ciselé ces masques

Que l’on croirait, à voir leurs galbes si fantasques,

De Benvenuto Cellini.
XV
Le matou dont il est parlé dans l’autre strophe

Était le bisaïeul de Murr, ce philosophe,

Dont l’histoire enlacée à celle de Kreissler

M’a fait plus d’une fois oublier que la bûche

Prenait en s’éteignant sa robe de peluche,

Et que minuit sonnait et que c’était l’hiver.

Mon pauvre Childebrand à l’amitié si franche,

Le meilleur cœur de chat et l’âme la plus blanche

Qui se puissent trouver sous des poils aussi noirs,

Cet ami dont la mort m’a causé tant de peine,

Que depuis ce temps-là j’ai pris la vie en haine,

Était aussi l’un de ses hoirs.
XVI
Ce digne chat était du reste l’être unique

Admis dans ce repaire, et pour qui Véronique

Eût de l’affection ; — peut-être bien aussi

Était-il seul au monde à l’aimer ; — vieille, laide

Et pauvre, qui l’eût fait ? C’est un mal sans remède ;

Ceux qu’on hait sont méchants, et l’on s’excuse ainsi.

— Il fait nuit, tout se tait ; une lumière rouge,

Intermittente, oscille aux vitrages du bouge ;

— Notre matou, couché sur le fauteuil boiteux,

Regarde d’un air grave et plein d’intelligence

La vieille qui s’agite et qui fait diligence

Pour quelque mystère honteux ;
XVII
Ou bien, frottant sa patte à sa moustache raide,

Lustre son poil soyeux comme l’hermine, à l’aide

De sa langue âpre et dure, et frileux, pour dormir

Entre les deux chenets, près des tisons, en boule,

La tête sous la queue artistement se roule.

— La bise cependant continue à gémir,

L’orfraie aux sifflements rauques de la tempête

Mêle ses cris ; le toit craque, la bûche pète,

La flamme tourbillonne, et dans un grand chaudron,

Sous des flocons d’écume, une eau puante et noire

Danse en accompagnant de son bruit la bouilloire

Et le matou qui fait ron ron.
XVIII
Minuit est le moment voulu pour l’œuvre inique ;

Minuit sonne. — Aussitôt l’infâme Véronique

Trace de sa baguette un rond sur le plancher,

Et se place au milieu ; — des milliers de fantômes

Hors du cercle magique, ainsi que des atomes

Qu’un rayon de soleil dans l’ombre vient chercher,

Tremblent, points lumineux sur la tenture noire.

— La vieille cependant murmure son grimoire,

Pousse des cris aigus, dit des mots dont le son,

Pareil au bruit que font les marteaux d’une forge,

Vous écorche l’oreille et vous prend à la gorge

Comme une mauvaise boisson.
XIV
Mais ce n’est pas là tout, — pour finir le mystère,

Elle jette un par un ses vêtements à terre

Et se met toute nue ; — oh ! C’était effrayant ! —

Le squelette blanchi dont la bise se joue,

Et qui depuis six mois fait aux corbeaux la moue

Du haut d’une potence, est un objet riant,

Près de cette carcasse aux mamelles arides,

Au ventre jaune et plat, coupé de larges rides,

Aux bras rouges pareils à des bras de homard.

Horror ! Horror ! Horror ! comme dirait Shakspeare,

— Une chose sans nom, — impossible à décrire,

Un idéal de cauchemar !
XX
Dans le creux de sa main elle prend cette eau brune

Et s’en frotte trois fois la gorge. — Non, aucune

Langue humaine ne peut conter exactement

Ce qui se fit alors ! — Cette mamelle flasque,

Qui s’en allait au vent comme s’en va la basque

D’un vieil habit râpé, miraculeusement

Se gonfle et s’arrondit ; — le nuage de hâle

Se dissipe : on dirait une boule d’opale

Coupée en deux, à voir sa forme et sa blancheur.

Le sang en fils d’azur y court, la vie y brille

De manière à pouvoir, même avec une fille

De quinze ans, lutter de fraîcheur.

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Albertus, 02 – XI à XX
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