L’espérance

Belle Philis on désespère.
L’Espoir! toujours l’espoir! Ah! gouffre insatiable,

N’as-tu donc pas assez englouti d’univers ?

Ne soupçonnes-tu pas à quel néant tu sers ?

N’entends-tu pas, sans trêve, en la nuit lamentable,

Les astres te hurler plus nombreux que le sable

Leur désillusion en sinistres concerts ?
Rien n’arrachera donc tes racines profondes,

Vieil arbre de l’Initinct aux vivaces rameaux ?

Gerbe unique du Mal, bégaiement des berceaux

Et râle inassouvi des sphères moribondes,

D’où viens-tu ? toi, sans qui, les cieux au lieu de mondes

Depuis l’Éternité rouleraient des tombeaux!
Tout espère ici-bas. Le phtisique au teint jaune

Que l’art a condamné, qui se traîne à pas lents

Par les sentiers déserts où la mousse frissonne,

De son souffle incertain confie au vent d’automne

Qu’il veut aimer et vivre et revoir le printemps.
Par les soirs pluvieux, la pauvre fille-mère

Qui vient revoir le fleuve, immense fossoyeur

Se roidissant encor, retourne à sa misère

Cramponnée à l’espoir d’un avenir meilleur.
Le gueux cent fois damné quand son heure est venue

Entend un son de cloche apporté par le vent,

Faible et doux, il essuie une larme inconnue

Et se repose en Dieu comme un petit enfant.
C’est vrai, l’histoire même, après tant de calvaires,

Tant de siècles passés au désert à gémir,

Tant de labeurs perdus sans même un souvenir,

Tant d’expiations et de nuits séculaires

Trouve encor des rêveurs éblouis de chimères

Pour lui montrer là-bas l’Éden de l’avenir!
Danser, désespérer; mais depuis que les hommes

Sur ce globe perdu pullulent au soleil,

Du jour où quelqu’un sut ce qu’est le grand sommeil

Et pesa dans sa main la cendre que nous sommes

L’homme désespérant des célestes royaumes

Cria que tout sombrait au néant sans réveil.
Pourtant il va toujours, frêle Œdipe des choses,

Fou d’angoisse devant l’inconnu de son sort,

Et s’il fixe toujours le Sphinx aux lèvres closes

Au lieu de lui crier qu’il ne sait rien des causes

Et d’attendre à ses pieds l’universelle mort
C’est qu’il croit à l’Énigme et qu’il espère encor.

Et Bouddha méditant sous le figuier mystique,

Jésus criant vers Dieu son unique abandon,

Lucrèce désolé, Brutus calme et stoïque,

Caton, Léopardi, Henri Heine, Byron,

Tous les sages de l’Inde et tous ceux du Portique

Crurent-ils en mourant que tout était dit? – Non.
Aujourd’hui qu’affolé d’universelle enquête,

L’homme, sans voir la croix qui lui rend les deux bras,

Fixe ses Dieux muets, leur dit : Vous n’êtes pas!

Et se brisant le cœur, et du ciel, sa conquête,

Balayant cet olympe œuvre éclos en sa tête

Compte les soleils pris dans l’arc de son compas,
Aujourd’hui que d’un monde où souffla trop le Doute

Tout espoir de justice et d’amour est banni,

Que l’Etre se voit seul et qu’au lieu de sa voûte

D’où Dieu veillait sur lui, Père auguste et béni,

Il ne sonde partout, ignorant de sa route

Que les steppes d’azur d’un silence infini,
Aujourd’hui que le dogme absolu, fataliste

Sur ce globe trop vieux marche à pas de géant,

Qu’on songe à tous ces cœurs où plus rien ne subsiste

Qui les retienne encor loin du gouffre béant,

Et qui berçant leur rage aux sanglots du Psalmiste

Vont à travers la vie altérés de néant.
Et dans mille ans d’ici, quel en sera le nombre.

L’homme alors jusqu’au fond de tout aura creusé,

Désertant les cités, sans désir, muet, sombre,

Accroupi dans la cendre et le crâne rasé,

Les mains sur les genoux il contemplera l’ombre

Manger très-lentement le soleil épuisé!
Eh bien! plus tard encor à son Heure suprême

Quand ce même soleil autrefois jeune et beau,

Trouant l’épaisse nuit d’un œil sanglant et blême

En fumant vers les cieux conduira son troupeau
Alors que grelottant, formidable, la Terre

Au lieu des tapis d’or que lui faisaient les blés

Ne montrant tour à tour que steppes désolés

À l’infini, n’étant qu’un [.....] désert polaire

Sentira tout à coup dans la nuit solitaire

Les frissons de la mort secouer ses reins gelés,
Ô toi! qui que tu sois, Frère, Unique Science,

Squelette ou cerveau fou qu’aura choisi le sort

Pour être le Dernier, seul, dans le grand silence,

Pour voir que c’était vrai, qu’il n’est plus d’espérance,

Rien n’ouvrant les cieux, tout continuant encor,

La terre pour jamais va sombrer dans la mort,
Non, tu ne croiras plus aux antiques chimères,

Dans les yeux de Maïa tu n’auras que trop lu

Et résigné d’avance à ses lois nécessaires

Tu marqueras en paix, l’âme ivre d’absolu,

Les derniers battements de ce bloc vermoulu.

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L’espérance
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